Les facteurs ne répondent plus de rien

Des postiers d’Île-de-France sont engagés dans un mouvement de grève qui se durcit. En cause : une réorganisation de la distribution du courrier décidée il y a quelques mois par la direction de La Poste.

Thierry Brun  • 12 juin 2014 abonné·es
Les facteurs ne répondent plus de rien
© Photo : Thierry Brun

Boulevard de Vaugirard, assise sur le trottoir, au pied du siège du groupe La Poste, à Paris, Valérie est accablée. Elle entame sa troisième semaine de grève avec plus d’une dizaine de collègues sur la quarantaine de facteurs qui travaillent dans le centre de distribution de Saint-Pierre-du-Perray (Essonne). Il y a quelques semaines, raconte-t-elle, « les grands patrons se sont ramenés dans le bureau et ont dit que, pour des raisons économiques, le centre serait fermé. Surprenant, alors qu’on n’arrête pas de construire dans le secteur ! Alors pourquoi ? On n’a pas de réponse ! On nous traite comme des moins que rien ! » .

Valérie et une centaine de postiers ont déboulé le 5 juin devant le siège de La Poste pour manifester, à coups de slogans et de sirènes, leur opposition au projet de restructuration et aux nouvelles organisations de travail. La plupart sont venus de plusieurs villes de l’Essonne, d’autres d’Asnières et de Rueil, dans les Hauts-de-Seine, ils sont en grève depuis quatre mois pour lutter contre la précarité. Quelques postiers du centre de distribution du XVe arrondissement, en grève depuis le 21 mai, ont rejoint le mouvement, soutenu par SUD-PTT et la CGT. Un mouvement qui s’est étendu le 10 juin à l’ensemble des sites parisiens, avec un mot d’ordre de grève illimitée lancé par la CGT, fait rare dans les annales de la fédération postale. Dans plusieurs centres d’Île-de-France, le courrier est désormais distribué au coup par coup, comme à Épinay-sur-Orge, où « tout le monde est gréviste », affirmait le 29 mai un facteur à vélo devant le piquet de grève tenu par la quinzaine de postiers du site. Dans la cour, depuis la fenêtre ouverte, protégée par des barres de sécurité, le directeur du site parlementait avec deux grévistes, avant de se retrancher dans le silence. Contactée par Politis, la direction du groupe à Paris tente de rassurer : « Concernant Épinay, le dialogue avec les organisations syndicales et les agents concernés est constant. Des négociations et des entretiens individuels sont en cours. » Ces entretiens, Valérie les voit comme « de l’intimidation. Ils demandent aux agents s’ils veulent être mutés en province ou ailleurs, et, pour les fonctionnaires, s’ils veulent être reclassés à EDF ou dans la police ». Une factrice « qualité » de Saint-Pierre-du-Perray, passée par un tel entretien, livre son inquiétude : « On ne nous dit rien et on nous présente un questionnaire. Or, on ne peut pas répondre puisqu’on ne sait rien de ce qu’on va nous proposer. C’est la loterie ! » « Le dialogue social n’existe que dans les textes », affirme Éric Fayat, secrétaire de SUD-Poste 91, qui a rencontré la direction du courrier de l’Essonne, à Évry. La Poste « envoie les mêmes interlocuteurs qui font toujours les mêmes réponses aux grévistes. Tout se décide à Paris » .

La situation reste bloquée depuis que des propositions « d’organisations innovantes » ont été dévoilées aux facteurs il y a plusieurs semaines. Philippe Wahl, le PDG du groupe La Poste, a présenté le 12 février, lors d’une audition devant les sénateurs, son projet de réorganisation du travail et de la distribution du courrier. Celle-ci serait fondée « sur le développement de nouveaux services du facteur et sur une politique de réduction des coûts de fonctionnement ». Le PDG demande un « effort nécessaire, car l’économie de l’activité courrier est en baisse ». C’est l’annonce « que le tri se fera loin du lieu de distribution et qu’on livrera aux facteurs leur tournée sur le trottoir » qui a mis le feu aux poudres, selon Éric Fayat. Tandis que, de son côté, la direction du groupe met en avant la diminution du nombre de plis : « Moins 6 % cette année en Essonne, et un passage de 18 à 9 milliards d’objets traités entre 2008 et 2018, ce qui conduit à une mutation de l’activité mais aussi du métier des postiers, des facteurs en particulier », explique un responsable de la communication. « On veut surtout casser le métier, le savoir-faire, le service public, pour ensuite sous-traiter. Ce sera plus rentable », rétorque Jean-Christophe, un facteur représentant du personnel de l’établissement de Courcouronnes. Valérie explique que, dans les mois à venir, elle devra aller chercher son courrier dans un centre éloigné du lieu de distribution de Saint-Pierre-du-Perray, et anticipe ce qui l’attend : « Les trajets seront plus longs. Il y aura du retard du fait qu’il faudra traverser la Francilienne le matin, embouteillée comme le périph’. La distribution ne sera plus assurée correctement et devra être effectuée sur la journée et non plus le matin. » Surtout, « le facteur ne sait pas ce qu’il aura dans sa sacoche, et il devra passer 6 heures dehors… C’est très dur ! On aura droit à une pause méridienne de 45 minutes pour manger n’importe où, et à nos frais. Cela fait un peu le “facteur clochard” qui mange au milieu de sa distri ! », s’indigne-t-elle.

Olivier, un des 200 facteurs du centre de distribution du XVe arrondissement de Paris, militant de SUD-PTT, confirme l’aggravation des conditions de travail : « On a atteint nos limites sur le terrain. On nous dit qu’il y a une baisse du courrier, mais, dans notre arrondissement, le courrier a augmenté en raison des recommandés. Nous ne sommes pas motorisés, nous portons tous les jours la sacoche sur notre dos, avec 5 kilos de recommandés à distribuer dans la matinée. Les agents sont usés. C’est insupportable ! » Membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), Jean-Christophe pointe de son côté « une souffrance au travail énorme dans l’Essonne et une dizaine de suicides depuis le début de l’année dans le groupe ». La réorganisation, prévue pour « fin septembre, à la va-vite », selon Sébastien, lui aussi facteur dans le XVe arrondissement, viendra s’ajouter aux effets du manque de personnel : « Vingt-deux emplois seront supprimés. C’est énorme ! Cela concerne 10 % des tournées et ça casse notre travail. On veut aussi nous faire distribuer la publicité non adressée, et nous devrons proposer de nouveaux services à la personne. » Alertés par les syndicats, des partis de gauche comme le PCF ont apporté leur soutien au mouvement, ainsi que quelques élus de droite. Député UMP de l’Essonne, Franck Marlin, qui a reçu en avril les facteurs d’Étampes, « partage pleinement les motivations des intéressés » et a « saisi le directeur départemental en charge du secteur courrier ». Le député apporte son « total soutien » aux postiers, expliquant que « le projet envisagé par la direction de La Poste engendrera une désorganisation d’un service public auquel la population est attachée, d’autant qu’il ne pourrait qu’amplifier les dysfonctionnements déjà observés ». De son côté, la maire UMP de Saint-Pierre-du-Perray, Catherine Aliquot-Vialat, a lancé une pétition contre la fermeture du centre de distribution situé dans sa commune, une fermeture prévue pour le printemps 2015.

Les provocations de la direction, qui a embauché des intérimaires et réquisitionné des cadres pour distribuer le courrier, n’entament pas la détermination des mouvements de grève. « Cela n’a en rien émoussé la ténacité des agents », indique SUD Poste 91, qui relève, avec la CGT, que la direction « ne peut plus faire face aux restes de courrier qui s’accumulent dans le centre » parisien du XVe arrondissement. Les deux syndicats demandent que la direction interrompe ces dispositions « innovantes » dans les plus brefs délais.

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