Manuel Valls ou la gauche
En annonçant que « la gauche peut mourir », le Premier ministre tente surtout de mettre en accusation les « frondeurs » du PS. Mais il s’expose à un effet boomerang.
dans l’hebdo N° 1308 Acheter ce numéro
Un spectre hante désormais la gauche. Celui d’une mort possible. Samedi, devant le conseil national du Parti socialiste, Manuel Valls a voulu marquer les esprits. Pour ce faire, bien que cette réunion se tienne à huis clos, le Premier ministre a distribué à la presse son discours ; ses principaux passages ont également été diffusés en direct par le compte twitter du PS, muet sur toutes les autres interventions. Nul n’ignore donc que le chef du gouvernement interprète le résultat des européennes comme le signe d’un possible basculement « dans une nouvelle ère » où « la gauche peut mourir ».
S’agissant du PS, la dramatisation de Manuel Valls a visiblement pour but de rejeter la responsabilité sur les parlementaires « frondeurs » du PS, sur les écolos et le Front de gauche. C’est-à-dire précisément sur tous ceux qui préconisent une politique de gauche. Mais il s’appuie aussi sur des données objectives. Voilà quelque temps déjà que le parti d’Épinay, faute d’un travail théorique digne de ce nom, n’a plus de corps doctrinal susceptible de lui servir de boussole. Cette indigence intellectuelle était compensée par un puissant réseau d’élus locaux, or ce maillage territorial a été touché de plein fouet aux municipales. Dans ce « scrutin dévastateur », selon le mot de Manuel Valls, la FNESER, l’association regroupant les élus socialistes, estime avoir perdu 30 000 de ses 60 000 adhérents, sans parler des emplois liés à ces mandats. La chute des effectifs du PS, admise ce week-end par Jean-Christophe Cambadélis – 25 000 adhérents perdus depuis la présidentielle –, n’est donc pas prête d’être enrayée. Cette annonce mortifère n’est toutefois pas dénuée d’arrière-pensée tactique, puisqu’elle permet à Manuel Valls d’imposer au PS de rompre avec les derniers marqueurs qui le rattachaient encore à l’héritage socialiste. Sus donc aux « vieilles recettes du passé », aux « vieilles théories » et aux « stratégies du passé » ! L’appel à sortir « du confort des idées connues, des mots qui ne fâchent pas, et des dogmes » n’est certes pas nouveau dans sa bouche, mais à Matignon, « Monsieur 5,7 % » – son score en 2011 dans la primaire socialiste – a désormais les coudées franches pour imposer ses vues. Convaincu que le PS est arrivé « au bout d’un cycle historique » et que le Front de gauche et Europe écologie-Les Verts ne pèsent rien, il veut tout « réinventer » pour « adapter la gauche » à « un monde qui change » où « tout entre en concurrence » .
La violence de cette mutation se dévoile dans l’injonction de Manuel Valls à « tenir face à la radicalité de certains mouvements sociaux » ou sa dénonciation d’une « reparlementarisation à outrance des institutions » qui ne serait « pas tenable ». Mais également dans la « crise d’identité » que vivrait notre pays et que le chef du gouvernement juge « bien plus profonde » que la crise économique et sociale face à laquelle il n’envisage pas changer de politique. Il assume « la politique de l’offre », qui « n’est pas un choix idéologique » mais un « choix stratégique ». « Prendre un autre chemin nous conduirait à l’échec », martèle-t-il, sans exclure d’aller plus loin dans les réformes de structure, « sans tabou ». Il est assez habituel depuis 2002 que le PS réponde à ses défaites électorales par un coup de barre à droite, mais ce que dessine Manuel Valls, c’est une transformation profonde du PS assez semblable à celle conduite par Tony Blair au sein du Parti travailliste, il y a plus de quinze ans, pour faire naître le New Labour. Ou une évolution à l’italienne vers un Parti démocrate. « C’est à ce niveau-là qu’il faut se situer. Ce qui est en jeu, c’est un nouveau parti socialiste », confirme Jean-Christophe Cambadélis, qui entend « redonner une carte d’identité au PS » conforme à un « socialisme moderne ».
Au sein du PS, mais aussi chez EELV et dans le Front de gauche, les réactions au discours de Manuel Valls pronostiquant une possible mort de la gauche ont été vives. Et assez semblables. À l’image de cette réplique de Pierre Laurent, mardi matin : « Il agite un danger en créant tous les jours les conditions pour que ce danger arrive. » Plus radical, Laurent Bouvet, directeur de l’Observatoire de la vie politique à la Fondation Jean-Jaurès, se demande s’il ne faut pas « tuer le PS pour sauver la gauche » [^2]. La question mériterait d’être discutée par tous ceux qui, à gauche et jusqu’au sein du PS, ont dit ce week-end, dans leurs conseils nationaux, leur opposition à la politique suivie par le gouvernement. Si la réponse n’est pas simple, il est de leur responsabilité de trouver les voies qui permettent de rassembler toutes les forces aujourd’hui dispersées qui n’ont pas renoncé à mettre en œuvre un projet de transformation sociale et écologique. Faute de quoi Manuel Valls aura beau jeu de dire qu’ « il n’y a pas d’alternative à gauche », que « l’échec électoral [du PS] ne renforce pas la gauche de la gauche » et que c’est donc du PS « que devra venir la solution ».
[^2]: lefigaro.fr, 16 juin.