Transition énergétique : Royal impose sa méthode
La ministre de l’Écologie est parvenue à une conciliation qui ne dresse pas
les écologistes contre le gouvernement, avec un projet de loi qui désamorce temporairement la question nucléaire.
dans l’hebdo N° 1309 Acheter ce numéro
Par ses compromis, le projet de loi sur la transition énergétique, présenté mercredi 18 juin au Conseil des ministres, confirme Ségolène Royal dans son rang de poids lourd du gouvernement, et au service de la méthode Hollande. Les écologistes, dont l’appui de plus en plus chancelant lui sera nécessaire, ne sont pas mécontents, et la ministre contribue à faire en partie contrepoids aux ambitions d’un Arnaud Montebourg pro-nucléaire et bête noire d’EELV. Les écologistes avaient fixé la jauge sur deux points : l’engagement du reflux de la part de l’atome dans la production d’électricité, de 75 % aujourd’hui à 50 % en 2025, ainsi que la capacité pour l’État de décider de la fermeture d’une centrale après 40 ans d’activité – hors considérations de sûreté.
Ils n’ont obtenu satisfaction qu’à moitié. Lors de l’ultime arbitrage, bouclé dans la nuit précédant la présentation du texte, Ségolène Royal a basculé dans le camp des opposants à la clause des 40 ans, « alors que le Premier ministre et le Président s’étaient rangés à nos arguments », signale le député EELV Denis Baupin. « Le temps n’est plus aux postures idéologiques ou pragmatiques », balaye la ministre, soucieuse de ménager les industriels. La responsabilité de la fermeture d’un réacteur reste donc à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), aux prérogatives un peu renforcées par le projet, mais sous la très forte pression d’Henri Proglio. Le PDG d’EDF compte mener à bien le prolongement des réacteurs (jusqu’à 60 ans peut-être). Un programme à 100 milliards d’euros, mais dont il espère une forte rentabilité – les équipements sont déjà amortis. « C’est donc la logique économique qui tranchera », convient Denis Baupin, qui estime qu’elle a de bonnes chances de se retourner contre l’option Proglio, car les énergies renouvelables gagnent rapidement en compétitivité. En revanche, le député salue l’établissement d’une gouvernance du nucléaire, qui doit soumettre la stratégie d’EDF aux choix de la politique énergétique nationale.
Alors qu’EDF décidait seule de ses investissements, ceux-ci pourront subir le veto d’un commissaire du gouvernement [^2] et devront être cohérents avec une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) débattue, entre autres, avec les parlementaires. Elle définira l’évolution des capacités de production de chaque filière – nucléaire, renouvelables, hydraulique, thermique –, afin de satisfaire une stratégie « bas carbone » établie par tranches de cinq ans, et fixant des objectifs nationaux de réduction des émissions de CO2. Cette PPE pourra donc théoriquement imposer une décroissance de la part du nucléaire. Établie par tranches de cinq ans également, et calée sur les mandats présidentiels, elle prendra cependant une option sur les cinq prochaines années. Un succès des écologistes, qui redoutent un démantèlement de ce dispositif en cas de changement de majorité dès 2017. De plus, la loi limitera le potentiel nucléaire à 63 gigawatts, soit la capacité du parc actuel. « Si EDF veut mettre en service l’EPR de Flamanville, il faudra fermer une puissance équivalente – Fessenheim par exemple », précise Denis Baupin. Reste la crainte qu’une croissance de la consommation électrique nationale (que la loi ne plafonne pas) permette à EDF de maintenir son parc sans déroger à l’objectif des 50 %. Sans fondement, calcule le député, qui souligne que même la puissante Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), historiquement pro-nucléaire, a récemment convenu qu’au vu de la stagnation de la consommation, il est pratiquement inéluctable de fermer une dizaine de réacteurs d’ici à 2025. « Cette loi de transition énergétique est crédible », juge le sénateur écologiste Ronan Dantec, négociateur des arbitrages nucléaires avec Denis Baupin, et qui se prononce sur l’ensemble du projet [^3].
Tous ne sont pas de cet avis. Le milieu associatif oscille entre scepticisme et déception. On est également partagé au sein d’EELV. Dans un communiqué, les porte-parole estiment que la loi n’apporte pas les garanties attendues. Cependant, le débat est tout autant interne, avec ceux qui regrettent que la sortie du gouvernement ait laissé passer l’occasion d’obtenir une loi plus ambitieuse. Rendez-vous à l’automne pour la bataille parlementaire, notamment pour les décisions budgétaires. Ségolène Royal compte mobiliser 10 milliards d’euros pour la transition énergétique. Mais les premiers signes n’invitent pas à l’optimisme. Le gouvernement compte beaucoup sur l’investissement privé, et l’enterrement de l’écotaxe (voir p. 10) risque d’amputer de moitié les projets de transports propres.
[^2]: L’État détient 85 % de l’entreprise.
[^3]: Pour les autres aspects du projet de loi, lire www.politis.fr/Transition-energetique-la-voie,27467.html