Climat et militarisation

Il s’agit de préparer la société aux chocs futurs, à de possibles guerres.

Geneviève Azam  • 24 juillet 2014 abonnés

On connaît déjà le rapport « secret » du Pentagone sur le changement climatique [^2], publié en 2003, faisant état de la gravité de la situation et des mesures propres à assurer la sécurité nationale. Pendant ce temps, George W. Bush amusait la galerie avec sa foi dans la stabilité climatique.

Depuis, le département de la Défense états-unien, sous la supervision de plusieurs agences militaires, a lancé un vaste programme de recherche en sciences sociales pour modéliser les dynamiques sociales et les risques de troubles aux États-Unis et dans le monde. Plus précisément il a lancé en 2008, en collaboration avec des universités, le projet Minerva Research Initiative, qui s’est notamment traduit, en 2013, par le lancement d’un projet sur l’anticipation et la modélisation des risques liés au changement climatique, en collaboration avec l’université du Maryland. Il s’agit, avec le secours des sciences sociales, de préparer la société aux chocs futurs, à de possibles guerres pour l’eau, l’alimentation ou l’énergie.

Cet épisode n’est pas sans rappeler que les États-Unis ont organisé une mobilisation massive de scientifiques autour de projets militaires et stratégiques pendant la Seconde Guerre mondiale et au cours de la guerre froide. On pense au projet militaro-industriel de défense antiaérienne AA Predictor, conduit dès 1941 par le physicien Norbert Wiener, fondateur de la cybernétique, qui a modélisé l’ennemi et conçu les moyens de suivre et de contrôler ses mouvements. On pense aussi à John Von Neumann, qui, outre ses travaux en mathématiques et physique, est connu par les économistes comme coauteur de l’ouvrage Théorie des jeux et comportements économiques, référence de l’économie néoclassique. Il est sans doute moins connu pour sa participation à des programmes militaires américains, au projet Manhattan, notamment, qui permit la construction de la bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale. La théorie des jeux étant mobilisée pendant la guerre froide.

Les méthodes de la théorie des jeux, ** combinées avec l’intelligence artificielle, peuvent être appliquées à chaque fois que l’on étudie la compétition que se livrent des « individus » pour des ressources, sachant que ces individus sont égoïstes par nature et rationnels au sens de la rationalité économique. Ainsi, on peut simuler des jeux dans lesquels des agents cherchent à survivre et à se procurer des ressources en situation de concurrence avec d’autres agents. Ce sont de tels jeux qui sont mobilisés dans les études face aux risques de troubles liés au changement climatique. Par exemple, l’un d’eux a consisté, face à une protestation contre une centrale à charbon près du Missouri, à réunir des environnementalistes devant identifier ceux qui sont des sources de problèmes et ceux qui portent des solutions [^3], le but explicite étant de contrer les mouvements de base, les « extrémistes domestiques ». On admirera le raisonnement binaire problème-solution, sur le modèle coût-bénéfice. Cette science économique est déjà enrôlée. Nous ne pourrons pas ignorer ces enjeux lors de la conférence sur le climat à Paris en 2015.

[^2]: Rapport secret du Pentagone, 2003, Éd. Allia.

[^3]: « Pentagon preparing for mass civil breakdown », The Guardian, 12 juin 2014.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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