Le système Ryanair en procès
Une procédure de justice révèle de nombreuses infractions au droit du travail de la part de la compagnie aérienne low cost.
dans l’hebdo N° 1310 Acheter ce numéro
« Le personnel signe des contrats ahurissants qui l’obligent à travailler selon les besoins de Ryanair, sans aucune contrepartie ; il n’y a pas de salaire minimum et les employés passent parfois des semaines sans gagner un sou », lance Gerry Byrne, journaliste irlandais spécialiste de l’aviation, qui a enquêté sur cette compagnie emblématique du modèle low cost [^2]. Cette situation a valu à Ryanair d’être condamnée en 2013 pour travail dissimulé par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence. Mais, devant la perspective de verser 200 000 euros d’amende et près de 9 millions de dommages et intérêts aux organismes sociaux, la compagnie irlandaise a fait appel les 23 et 24 juin [^3]. Sans changer pour autant ses méthodes sur sa base de l’aéroport de Marseille-Marignane : une nouvelle plainte pour travail dissimulé a en effet été déposée par le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), au motif que Ryanair refuse d’acquitter les cotisations sociales des pilotes.
« Les collectivités locales acceptent tout : aides marketing, contrats de prestations publicitaires, rabais substantiels des redevances aéroportuaires, tarifs discriminatoires en matière d’assistance à l’escale et mise à disposition d’infrastructures à des prix inférieurs à ceux du marché », égrène Mehdi Kemoune, de la CGT Air-France. En 2011, un rapport de la chambre régionale de la cour des comptes de Poitou-Charentes pointe un contrat de marketing destiné à promouvoir l’aéroport de Poitiers-Biard sur le site Internet de Ryanair, une subvention de plus de cinq millions d’euros jusqu’en 2015, principalement versée par le conseil général de la Vienne et la communauté d’agglomération du Grand Poitiers. Quand certaines collectivités locales refusent de mettre la main à la poche, Ryanair menace de partir, ce que l’entreprise a fait à Pau en 2011. Impossible de savoir ce que devient l’argent public, qui passe notamment par une filiale de Ryanair, Airport Marketing Service, sise à Jersey, paradis fiscal notoire.
Le système low cost « met en péril des compagnies comme Air France, et surtout des dizaines de milliers d’emplois, en se livrant à une exploitation des salariés tout en bénéficiant de subventions publiques », s’insurge Bertrand Moine, secrétaire général adjoint du Scara, qui a récemment gagné en cassation un procès pour travail dissimulé contre la compagnie espagnole Vueling. Le syndicat reproche à la compagnie irlandaise de soumettre les compagnies aériennes traditionnelles à une concurrence déloyale et d’exercer une pression telle que ses conditions de travail tendent à se généraliser à tout le secteur aérien. En témoigne le plan Transform 2015 d’Air France-KLM, adopté en 2012. Les salaires du personnel navigant ont été gelés et leur temps de travail allongé d’un vol de plus par mois. Le second plan, Transform 2018, prévoit la suppression de 8 000 postes en trois ans. Pour Mehdi Kemoune, secrétaire adjoint de la CGT-Air France, « un véritable dumping social est en train de se mettre en place », et, « si on ne raisonne pas de façon globale, les économies au détriment des salariés ne serviront à rien tant que la concurrence n’est pas loyale, c’est pour cela qu’il faut une intervention politique de grande ampleur ». Il s’agit d’un enjeu de société, s’alarme Claire Hocquet : « Si toutes les compagnies travaillant en France s’appuient sur le comportement de Ryanair pour ne plus payer les cotisations à la caisse des retraites, celle-ci sera en grande difficulté. » Un crash inévitable si le low cost continue à ne pas respecter les acquis sociaux.
[^2]: Propos extraits du documentaire la Face cachée du low cost : enquête sur le système Ryanair , Enrico Porsia.
[^3]: Le verdict ne sera connu que le 29 octobre prochain.