Le temps du Parlement
Malgré le rejet de leurs amendements sur le projet de loi de finances rectificatif, les « frondeurs » du PS ne désarment pas. Et concentrent désormais toutes leurs critiques sur celui de la Sécurité sociale.
dans l’hebdo N° 1310 Acheter ce numéro
Il est un peu plus de minuit, ce mardi 1er juillet. Le président de séance vient d’annoncer officiellement la fin de la session ordinaire du Parlement et l’ouverture d’une session extraordinaire, quand le député socialiste Laurent Baumel expose un amendement qui vise à instaurer une CSG progressive. Un engagement de François Hollande. Presque un siècle après l’adoption par l’Assemblée nationale de l’impôt sur le revenu progressif, le 3 juillet 1914, explique le député d’Indre-et-Loire, ce serait un bel « hommage » que de « rendre à son tour progressif l’impôt sur le revenu le plus important qu’est devenue la CSG ». Ce serait aussi renouer avec l’annonce par Jean-Marc Ayrault d’une « réforme fiscale qui s’est un peu perdue dans les sables », et « mettre en œuvre l’engagement 14 du président de la République pendant sa campagne électorale » .
L’écologiste Eva Sas lui succède ; elle devait défendre un amendement identique visant à « alléger la contribution des ménages les plus modestes », mais annonce que son groupe fait sienne la proposition de Laurent Baumel, plus complète. Le socialiste Christian Paul vient à la rescousse de cet amendement qu’il présente comme « l’amorce d’une réforme graduelle » visant à fusionner la CSG et l’impôt sur le revenu. Ne pas le voter, plaide-t-il, « serait une faute indélébile ». Ce « débat important » qu’appuie également Jean-Marc Germain, député PS des Hauts-de-Seine, sur un impôt dont le montant, rappelle le député et économiste Pierre-Alain Muet, est « deux fois plus important que l’impôt sur le revenu », ne sera toutefois pas soumis aux votes. Trois heures plus tôt, alors que la discussion s’ouvrait sur l’article premier du budget rectificatif de la Sécurité sociale, le ministre du Budget, Christian Eckert, a demandé la réserve sur les votes. Une procédure contestable, autorisée par l’article 96 du règlement de l’Assemblée qui permet à l’exécutif de priver le Parlement de droit de vote. Les députés débattent, présentent leurs amendements, sans qu’aucun scrutin ne tranche leurs débats ; le gouvernement se réservant la possibilité d’opter, in fine, pour un vote bloqué sur tout ou partie du texte modifié éventuellement par les amendements qu’il accepte, comme le prévoit l’article 44.3 de la Constitution, ou d’utiliser l’arme atomique du 49.3. Dans la nuit de lundi à mardi, il s’agissait d’empêcher que les socialistes qu’on appelle « les frondeurs », majoritaires ce soir-là dans l’hémicycle, ne parviennent à faire voter l’un de leurs amendements les plus emblématiques contre lequel Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, argumente difficilement. Si le ton est courtois, la ministre n’en explique pas moins tranquillement que les débats de fond concernant les lois votées à l’Assemblée ne peuvent avoir lieu dans l’hémicycle. Avant de reconnaître que la CSG progressive relève d’ « une logique politique totalement différente de celle du gouvernement ». L’aveu éclaire la fracture durable qui s’est créée au sein même de la majorité.
L’offensive des « frondeurs » l’a mis en lumière, le gouvernement, en voulant les « écrabouiller », suivant l’expression délicate de Jean-Marie Le Guen, son ministre des Relations avec le Parlement, ne fait que les renforcer. C’est au lendemain de la déroute électorale des municipales qu’un petit groupe de députés socialistes a décidé qu’était venu « le temps du Parlement ». Issus de plusieurs tendances du PS, ils ont en commun d’être critiques sur le « pacte de responsabilité » annoncé par François Hollande. À l’initiative d’un texte signé par un peu plus de 80 députés, début avril, fondateur de leur groupe connu sous l’appellation de « l’Appel des cent », ils ne s’opposent pas frontalement à la politique du gouvernement, même si 41 d’entre eux se sont abstenus lors du vote sur le pacte de stabilité, fin mai. Toutefois, c’est sur les budgets rectificatifs de l’État et de la Sécurité sociale, en discussion depuis le 23 juin, qu’ils ont décidé de porter leur offensive. Avec une petite batterie d’amendements, qui restent dans les clous du déficit retenu par le gouvernement, concentrés sur quelques mesures fortes. L’un d’entre eux, qui a focalisé le débat dans la soirée du 24 juin, demandait que les entreprises restituent les sommes versées au titre du CICE en cas de non-respect de leurs engagements. Il a été repoussé par 77 voix contre 51, dont 37 membres du groupe socialiste. Comme tous les autres amendements déposés.
En quatre jours de débat sur le projet de loi de finances rectificatif, les « frondeurs » ont montré une belle résistance. Pour eux, ce fut une surprise et un réconfort. Surprise de constater que la pression de Matignon et de Solferino n’a pas eu l’effet qu’ils redoutaient sur certains. Réconfort de constater que leur petite troupe a tenu le choc, et que leurs amendements soutenus par le groupe Écolo, les députés du Front de gauche et parfois même des radicaux « pouvaient réunir toute la gauche ». Mais ces batailles ne leur ont pas permis de modifier substantiellement le projet de loi de finances rectificatif (PLFR). Et elles ont creusé le fossé avec leurs collègues légitimistes. Quand les « frondeurs » se regroupent volontiers en haut de l’hémicycle, comme les députés de la Montagne au temps de la Révolution, eux se rassemblent autour des ministres dans les travées basses du Marais. Mardi matin, à quelques heures du vote solennel du PLFR, Jean-Marc Germain était tenté « de voter pour ». « On a porté des débats, on n’a pas été entendus mais ce qui reste dans le texte ne pose pas de problèmes majeurs », expliquait-il. Non sans promettre de continuer de batailler sur « le texte important », celui qui rectifie le budget de la Sécurité sociale et gèle les prestations sociales pour financer le soutien aux entreprises. Ce qui est « incompatible avec un gouvernement de gauche », a déjà prévenu son collègue Christian Paul.