Nature : l’exception culturelle française
Pour l’écologue Jean-Claude Génot, la question du loup est révélatrice du rapport de la France à sa nature. Tribune.
Quand on voit l’hystérie provoquée par 300 loups en France , alors que le calme règne chez nos voisins où il est également de retour (Allemagne, Suisse) et là où il a toujours existé (Italie, Espagne), on est en droit de se demander ce qui ne tourne pas rond dans l’Hexagone.
Justement, si le loup est si mal accueilli, y compris dans certains parcs nationaux, c’est parce qu’il fait irruption dans un paysage entièrement domestiqué, véritable usine de fabrication à ciel ouvert des produits du terroir. Cette bestiole sauvage qui apparaît soudain dans ce grand jardin à la française aux allées bien droites, ça fait tache ; pour tout dire, c’est l’anarchie.
En fait, le loup n’est qu’un révélateur, celui d’une France très anti-nature arc-boutée sur ses pratiques rurales, intolérante vis-à-vis de ce qui n’est pas domestique. On chasse dans la majorité des réserves naturelles, on exploite la forêt partout à l’exception des trop rares réserves intégrales, on laisse paître les troupeaux au cœur des parcs nationaux de montagne, ce qui conduit les Cévennes à s’opposer à la présence du loup et les Écrins à faire une battue en zone centrale pour l’en faire sortir, alors que les parcs nationaux sont faits pour protéger la nature sauvage et pas les animaux domestiques.
Pendant ce temps-là, les parcs nationaux allemands agrandissent les surfaces laissées en libre évolution sans agriculture ni sylviculture (Hainich, Forêt Noire, Eifel).
En France, le fait de soustraire des sites naturels à certaines activités humaines, agricoles et forestières, qui influencent fortement la dynamique naturelle est non seulement une mission impossible mais n’est pas souhaité par les autorités publiques ni par les nombreux acteurs du monde rural. Et, comme si cela ne suffisait pas, le lynx a quasiment disparu du massif vosgien trente ans après sa réintroduction, sans aucune réaction du ministère de l’Écologie, qui avait défendu ce projet à l’époque ; les forêts doivent produire plus en perdant leurs vieux arbres pour les unes et en se transformant en plaquettes pour les autres ; enfin, la loi du Grenelle 1 (article 23) prévoit que les plans de conservation de la nature doivent être compatibles avec les activités humaines mais pas l’inverse. Tout est dit sur les priorités de notre pays en matière de protection de la nature.
D’où vient cette intolérance, pour ne pas dire cette haine, envers la nature sauvage, véritable exception culturelle française ? Cela vient de la primauté du ruralisme et du monde agricole, et du fait que l’agriculture industrielle est une cause nationale. Avec un tel rôle économique et le soutien sans limites de l’État, le monde agricole a eu les pleins pouvoirs (contrôle du foncier, syndicat tout-puissant, création d’un organisme de recherche à son service, soutien inconditionnel de la classe politique, subventions françaises et européennes, etc.) pour mettre l’espace rural sous sa coupe et opposer son veto systématique à tout projet de protection de la nature menaçant ses intérêts.
Ce rôle démesuré accordé au monde agricole dans l’espace rural est de plus facilité par le centralisme jacobin et par le zèle des corps d’ingénieurs d’État (notamment celui du génie rural), autre particularité française, dont la formation cartésienne ne laisse aucune place à une approche sensible.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don