Pierre Tartakowsky : « La loi antiterroriste ne résout rien »

Le projet du ministère de l’Intérieur comporte des entorses aux droits fondamentaux et apporte une réponse inadaptée au problème, estime Pierre Tartakowsky.

Jean-Claude Renard  • 17 juillet 2014 abonné·es
Pierre Tartakowsky : « La loi antiterroriste ne résout rien »
© **Pierre Tartakowsky** est président de la Ligue des droits de l’homme. Photo : AFP PHOTO / GERARD JULIEN

Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a présenté le 9 juillet au Conseil des ministres son projet de loi antiterrorisme. Celui-ci prévoit l’interdiction de sortie de territoire pour certains ressortissants français, d’une durée de six mois, renouvelable « aussi longtemps que les conditions sont réunies ». Par ailleurs, à « l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », s’ajoute « l’entreprise individuelle à caractère terroriste », censée lutter contre l’auto-radicalisation. Déjà condamnée par la loi sur la presse (1881), l’apologie du terrorisme pourrait être incluse dans un nouvel article du code pénal. Enfin, le texte prévoit diverses mesures relatives à Internet, en contrôlant plus directement les fournisseurs d’accès et les moyens de communication comme Skype.

Quel regard portez-vous sur le projet de loi antiterroriste ?

Pierre Tartakowsky : Un regard à la fois agacé et critique. Agacé parce que l’on est contraint de constater que le gouvernement adopte les mêmes méthodes que ses prédécesseurs. Chaque fois qu’un problème surgit dans la société, qui est par ailleurs un problème grave, on flatte l’idée qu’il suffirait d’une loi plus sécuritaire pour qu’il soit réglé. C’est une pensée courte et inquiétante. On observe aussi que ce texte est très déséquilibré et, de fait, liberticide. Il délègue une partie des décisions à l’administratif, puisque le judiciaire perd un certain nombre de garanties, et s’aventure dans la voie de la prédictibilité. Il existe un cadre légal pour empêcher qu’un délit ne soit commis, mais il faut qu’il y ait une série de présomptions précises pour que la loi puisse intervenir. Dans un État de droit, tant que le délit n’est pas commis, en général, on ne peut pas le punir. Or, là, il y a une entrave au droit de se déplacer, qui est une loi fondamentale, dans une absence totale de cadre légal précis. Non seulement ce ne sera pas efficace contre les gens qui sont décidés à se battre là-bas, mais on crée corrélativement un objet juridique difficile à définir, qui est celui de l’entreprise terroriste individuelle. Il existe déjà un cadre légal pour répondre à l’action terroriste. On est donc face à un texte qui semble relever de l’effet d’annonce, qui ne prévoit rien en matière de garanties de contre-pouvoir. Ces « fameux » entrepreneurs terroristes individuels auront-ils droit à l’assistance d’un avocat ? Va-t-on se contenter de les empêcher de quitter le territoire ? Seront-ils placés en garde à vue ?

Que changerait le fait de retirer du droit de la presse l’apologie du terrorisme pour la soumettre au droit commun ?

Elle serait beaucoup plus facile à punir. Le droit de la presse est fondé sur la protection de la liberté d’opinion. C’est bien pour ça qu’il est parfois difficile d’attaquer une expression antisémite ou raciste. Il faut maintenir cet environnement juridique protecteur dont bénéficie la presse, parce qu’il est garant d’un débat public vivant. Inscrire l’apologie du terrorisme dans un autre cadre légal est tentant si l’on pense que ça réduira cette apologie, mais c’est très naïf. Si des centaines de jeunes Français veulent se battre ailleurs, ce n’est sûrement pas parce qu’ils ont surfé sur un site Internet. Les raisons sont plus profondes, et c’est là-dessus qu’il faudrait se pencher, en termes de conviction et non d’interdiction. D’autre part, il sera facile d’assimiler des tas de choses à l’apologie du terrorisme. On peut définir en gros le terrorisme, savoir qui est terroriste devient plus compliqué. Certains pays, par exemple, considèrent que le Hamas est un mouvement terroriste, d’autres non. Il y a matière à discussion. Pour certains groupes de pression, des manifestations de soutien au peuple palestinien pourront ainsi être taxées d’apologie du terrorisme. On peut accoler à l’étiquette beaucoup d’interdictions.

Quels seraient les effets pervers de cette loi ?

Les effets pervers sont ceux de toutes les lois sécuritaires, qui réduisent toujours les contre-pouvoirs. Ça renforcera le poids de la police sur la justice, l’idée que, dès qu’il s’agit de terrorisme, les droits deviennent un luxe. J’y vois surtout une vacuité de la pensée assez terrifiante. Nous sommes sur un terrain politique qui a besoin d’être éclairé, combattu au plan idéologique, et qui appelle une mise en œuvre de politique publique autre que la simple répression. Ce n’est pas le cas.

Société Police / Justice
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