Un revenu pour tous, on y viendra !

La mise en œuvre d’une allocation universelle n’est qu’une question de volonté politique, à droite comme à gauche, avec des perspectives différentes.

Thierry Brun  • 24 juillet 2014 abonnés
Un revenu pour tous, on y viendra !
© Photo : manifestation à Valladolid, en Espagne, en faveur d'un revenu pour tous en février 2014. AFP PHOTO / CESAR MANSO

Va-t-on vers un revenu garanti de citoyenneté ? En Catalogne, les citoyens sont en passe de franchir le pas, raconte le Mouvement français pour un revenu de base, qui organisera du 21 au 23 août, à Coulounieix-Chamiers (Dordogne), sa première université d’été du revenu de base. Une initiative législative populaire a été lancée en 2013 dans cette région de l’Espagne et pourrait aboutir à une loi créant un revenu inconditionnel. En Catalogne comme en France, le principe d’un revenu de base garanti, inconditionnel, universel ou de citoyenneté est passé en quelques années du statut d’utopie en débat à celui de projet officiel dont la faisabilité est étudiée sous toutes les coutures. Bercy s’y est collé en 2007, quand Christine Boutin, ministre du Logement, qui défend depuis de nombreuses années l’idée d’un « dividende universel versé à tous », demande à François Fillon, alors Premier ministre, de faire « une expertise des solutions qui permettront de renforcer notre protection sociale » .

Le travail gratuit est-il voué à se développer, voire à se généraliser ? Le nombre d’ouvrages savants sur cette question tend à confirmer que la révolution du temps choisi n’est pas pour demain [^2]. Une quantité d’emplois disparaissent, du fait que le travail rémunéré est externalisé par les entreprises et renvoyé à une activité productive non rémunérée des citoyens. Opérations bancaires, recherche d’informations sur les horaires, tarifs et produits, achats et suivi de commandes, enregistrement dans les hôtels et avions, pompes à essence en libre-service, location automatisée, bornes d’informations touristiques, distributeurs en tout genre : la liste est interminable. Quant à l’activité domestique, majoritairement féminine, quand sera-t-elle enfin reconnue à sa valeur ? [^2]: Lire Free, comment marche l’économie du gratuit , Chris Anderson, Flammarion ; le Travail du consommateur, de McDo à eBay, comment nous coproduisons ce que nous achetons , Marie-Anne Dujarier, La Découverte.
Déjà, en 2006, la chef de file des démocrates chrétiens avait déposé une proposition de loi créant ce dispositif « appliqué en Alaska, mis progressivement en place au Brésil, à l’étude au sein de partis et de gouvernements, notamment en Afrique du Sud, en Irlande et en Belgique, sous des appellations diverses : revenu d’existence, revenu citoyen, basic income, allocation universelle, etc. ». Récemment, l’idée a fait son chemin jusqu’au gouvernement, lequel n’a pas été choqué par la proposition d’un revenu de base dans le rapport sur la France dans dix ans de Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective. L’économiste veut « rapprocher par étapes les différents dispositifs, en fusionnant d’une part RSA activité et prime pour l’emploi et, d’autre part, ASS et RSA socle, pour tendre vers une allocation unique pour tous les individus d’âge actif qui remplacerait à terme à la fois le RSA, la prime pour l’emploi et l’ASS accessible dès 18 ans ». De leur côté, Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, auteurs d’une étude sur le revenu minimum garanti, rebaptisé Liber, publiée en avril par le think tank libéral generationlibre.com [^2], s’interrogent : « Comment est-il possible qu’avec 400 milliards d’euros de dépense sociale par an on croise encore dans le métro ou sur le trottoir des gens qui ne mangent pas à leur faim ? » Marc de Basquiat, qui participera à l’université d’été du revenu de base, répond à cette question par de très sérieuses simulations autour de la création du Liber. Loin d’être un utopiste, l’économiste chiffre son revenu minimum garanti à 450 euros par adulte et à 225 euros par enfant, « calculé pour permettre à chacun de subvenir à ses besoins fondamentaux ». Mais d’autres options, plus généreuses, sont possibles. D’où tirera-t-on les sommes nécessaires au versement de ce revenu inconditionnel ? Le Liber sera financé par un impôt proportionnel, dès le premier euro, sur tous les revenus, une Libertaxe de 23 %. Seule condition, ce revenu minimum se substituerait « au maquis des allocations spécifiques », mais « sans toucher aux cotisations qui financent le système de protection sociale » .

Cependant, l’universitaire et essayiste Baptiste Mylondo [^3] tempère cet engouement d’une partie de la droite pour le revenu inconditionnel : « Un revenu de citoyenneté trop bas ne serait finalement qu’une subvention déguisée aux entreprises, leur permettant d’embaucher à faible coût, une partie de la rémunération des employés étant déjà assurée par l’État. » Cela reviendrait à cautionner une version libérale du revenu de base, dont la philosophie consiste à accorder une certaine somme d’argent aux citoyens, tantôt « filet de sécurité », tantôt « capital de départ », pour qu’ils puissent consommer et participer à la vie de la société. À gauche, un système comme le Liber est depuis longtemps dans les cartons, mais pour mettre en place un « revenu maximum acceptable » et une « dotation inconditionnelle d’autonomie », instruments de sortie du capitalisme et du productivisme [^4]. Sur le front des projets de revenus inconditionnels prêts à l’emploi, la bataille fait rage à gauche comme à droite. Reste à savoir qui va l’emporter.

[^2]: « Liber, un revenu de liberté pour tous », avril 2014.

[^3]: Lire Ne pas perdre sa vie à la gagner : pour un revenu de citoyenneté, Baptiste Mylondo, éditions du Croquant, 2010.

[^4]: Lire Un projet de décroissance : manifeste pour une dotation inconditionnelle d’autonomie , Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet et Anne-Isabelle Veillot, éd. Utopia, 2013 ; les Chemins de la transition : pour en finir avec ce vieux monde , coordonné par Thomas Coutrot, David Flacher et Dominique Méda, éd. Utopia, 2011.

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