EELV : Le risque de l’autonomie ?
Deux lignes stratégiques s’affrontent au sein du parti écologiste, qui faisait sa rentrée politique la semaine dernière à Bordeaux.
dans l’hebdo N° 1316 Acheter ce numéro
Continuer avec – ou sans – le PS ? Avant même le coup de théâtre de lundi, la question était dans toutes les têtes à Bordeaux, où Europe Écologie-Les Verts (EELV) se réunissait pour ses Journées d’été, du 20 au 22 août. Dans toutes les têtes, mais pas au programme. Car il fallait sauvegarder l’unité, fût-elle de façade, pour commémorer dignement les quarante ans de l’écologie politique. Et la question de la stratégie ouvre, chez les écolos, des abysses de désaccords…
« Indigne », « triste »… La semaine dernière, les critiques ont plu sur le livre mémoires de Cécile Duflot [^2]. Les commentateurs avaient-ils seulement lu en entier ce prétendu « brûlot », cette pseudo « charge anti-Hollande » ? De l’intérieur… est d’abord la chronique d’un « pari » perdu. Le récit d’une « désillusion » bien légitime, où Duflot, en habits de Candide, découvre un monde auquel elle n’appartient pas – « Ne croyez pas que vous êtes ministres parce que vous êtes au banc », lui glisse un ancien ministre. Outre l’exposé de sa « déception progressive » à l’encontre de François Hollande, qu’elle impute en grande partie au « système présidentiel », l’ex-ministre du Logement s’explique sur certains malentendus (la polémique autour du 14-Juillet), et prend sa part d’autocritique (ses « erreurs d’analyse », ses regrets de n’avoir pas soutenu Delphine Batho, de n’avoir pas assez réagi sur « l’affaire de la robe »…). Un peu court, diront certains.
Alors que le parti (dont elle reste la vraie patronne) se fissure entre deux lignes stratégiques, l’ouvrage, écrit à la va-vite et attentivement relu par ses plus proches conseillers, se garde bien de choisir entre les partisans d’une recomposition à gauche et les « réformistes » d’EELV. Ainsi, en page 221, Duflot appelle les parlementaires de gauche à « réorienter le quinquennat »… Curieuse conclusion, après 220 pages de constat d’impuissance.
[^2]: De l’intérieur, voyage au pays de la désillusion , Fayard, 235 p., 17 euros.
Près de cinq mois après la sortie précipitée de Cécile Duflot et de Pascal Canfin du gouvernement, qui pense quoi, chez EELV, de la nouvelle stratégie à adopter ? Grosso modo, deux tendances se dessinent : l’aile « réformiste », qui préférerait rester dans la main du PS, et l’aile « contestataire », qui préconise la sortie des alliances traditionnelles et la constitution d’un nouveau pôle à la gauche du PS. Une stratégie qui, à défaut de réussir, aurait au moins pour avantage de faire pression sur le gouvernement, font valoir ses deux principaux défenseurs, Eva Joly et Julien Bayou (voir ci-contre). L’eurodéputée et le conseiller régional d’Île-de-France publiaient une tribune, au deuxième jour des rencontres, pour réclamer une « primaire de l’espoir », sans le PS mais avec les frondeurs, pour désigner un candidat crédible en 2017. Un « très bon texte », a jugé le socialiste Pouria Amirshahi, invité des Journées d’été, qui a lancé à son tour un appel à entreprendre « un regroupement nouveau » : « On est sur du temps très long, mais il faut commencer maintenant. C’est ça ou le désastre. » Quant à son collègue du PS landais, l’emmanuelliste Stéphane Delpeyrat, il s’est pris à imaginer une candidature Duflot en 2017 : « Cécile a la force de caractère et elle est rassembleuse. Certains frondeurs du PS la voient déjà prendre les rênes du rassemblement, et les militants EELV sont quasiment tous sur sa ligne. » Reste à savoir s’il existe une « ligne Duflot ». Elle est en tout cas loin d’être claire, à en juger par son ouvrage qui n’est pas le brûlot tant décrié (voir encadré). « En réalité, la position de Cécile est compatible avec les deux options, analyse Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique. Quand elle dit que Hollande n’est “le Président de personne”, c’est une manière de mettre la pression sur l’Élysée pour améliorer la loi sur la transition énergétique. » Et le Nantais de prophétiser que la dame ne dévoilera pas ses ambitions avant la fin 2015.
Celles de Jean-Vincent Placé étant en revanche on ne peut plus limpides, le sénateur a justifié sa position franchement pro-gouvernementale par les sondages sur ces « sympathisants » écolos qui seraient « 85 à 90 % à souhaiter qu’on participe au gouvernement ». « On aurait dû y rester. C’est maintenant que François Hollande est affaibli, qu’on aurait pu peser », a martelé l’ancien proche de Duflot, lequel a pris soin de ne jamais s’afficher avec elle pendant les trois jours. « Les frondeurs ne sortiront jamais du PS, a renchéri François de Rugy, le troisième larron de la ligne Placé-Baupin-Rugy. Mieux vaut faire en sorte que la majorité soit la plus écologiste possible dans les deux ans qu’il nous reste. On est un parti de gouvernement. Pas un parti protestataire. » Et le député de Loire-Atlantique de prôner une primaire… ouverte au PS. Même proposition de l’eurodéputé Yannick Jadot, qui veut « une primaire très large, y compris avec les socialistes », mais en ayant au préalable trouvé le moyen de « faire comprendre à Hollande qu’il doit se sacrifier en 2017 ». Une formalité !
Reste les indécis. « Un bon tiers » des troupes, estime François de Rugy. Il y a le conseiller régional d’Île-de-France Jacques Picard, qui n’a plus de doutes sur la nécessité de la sortie du gouvernement, mais qui en a « sur cette partie de gauche qui ne veut pas assumer les contradictions du pouvoir ». Ou l’eurodéputée Karima Delli, qui ne veut pas entendre parler de primaire avant d’avoir « renforcé le parti, en allant sur le terrain, en montrant que l’écologie peut être populaire ». Quant à Éric Piolle, le maire de Grenoble, accueilli en star sur le campus bordelais des Journées d’été, il a refusé de prendre officiellement position sur le sujet. Mais a jugé en aparté l’expérience rouge-vert grenobloise « reproductible, à la condition de prendre de vitesse les ego et les étiquettes pour se concentrer sur le projet ». À bon entendeur… Il y a aussi Ronan Dantec, qui affirmait samedi dernier qu’ « il est trop tôt pour parler de recomposition », parce que, « vu la situation actuelle, tout peut arriver d’ici à 2017 ». Quarante-huit heures plus tard, l’avenir lui donnait déjà raison.