Envers et contre tous
En décidant de faire taire les voix dissidentes qui, au sein même de l’équipe exécutive, lui réclamaient un changement de cap, François Hollande réduit un peu plus la base de son pouvoir.
dans l’hebdo N° 1316 Acheter ce numéro
Après l’aveuglement, l’entêtement. Ni les indicateurs économiques au rouge ni la défiance croissante de l’opinion n’ont pu convaincre François Hollande et Manuel Valls de changer de cap. Au contraire. Le chef de l’État et son Premier ministre, qui se sont retrouvés le 15 août au fort de Brégançon pour un déjeuner de travail, ont aussitôt fait savoir qu’ils entendaient même « accélérer » le cours des réformes. Sans tenir compte des « propos irresponsables » ( dixit Manuel Valls) de ceux qui, à gauche, dénoncent depuis des mois la part trop belle faite au patronat dans le pacte de responsabilité. Un entêtement qui a atteint son paroxysme avec le remaniement gouvernemental de ce début de semaine, révélant l’implosion de la majorité.
Les mauvaises nouvelles se sont pourtant accumulées au cours de l’été. Le chômage continue d’augmenter ; la croissance est en berne, entraînant de moindres rentrées fiscales, synonymes de déficit supplémentaire ; l’inflation est au plus bas ; et, sur les six premiers mois de l’année, l’investissement des entreprises a fortement reculé. La déflation menace même l’Europe. Mais François Hollande n’en a cure. Alors que tout indique que la politique de l’offre qu’il conduit depuis son arrivée à l’Élysée est un échec, le chef de l’État incrimine « la conjoncture » et la dégradation de « l’environnement international et européen ». Dans ce marasme, le président de la République ne peut se prévaloir que d’une « bonne nouvelle » : « Jamais la France n’a emprunté sur les marchés financiers à des taux aussi faibles, se réjouit-il dans le long entretien qu’il a accordé au Monde le 20 août. […] C’est la preuve du sérieux de notre politique. » La marque surtout d’une confiance des marchés face à une politique faite pour eux, beaucoup moins pour satisfaire les attentes de l’électorat de gauche auquel François Hollande doit pourtant son élection. C’est dans ce contexte que plusieurs ministres, Arnaud Montebourg en tête, ont tenté de mettre en débat « une alternative » au cap présidentiel. Samedi, dans un entretien au Monde, il estimait qu’il fallait « hausser le ton » vis-à-vis de l’Allemagne, « prise au piège de la politique austéritaire », alors que quatre jours plus tôt, François Hollande annonçait ne pas vouloir de « face-à-face » avec l’Allemagne. L’ancien ministre déclarait aussi : « La réduction à marche forcée des déficits est une aberration économique car elle aggrave le chômage, une absurdité financière car elle rend impossible le rétablissement des comptes publics, et un sinistre politique car elle jette les Européens dans les bras des partis extrémistes qui veulent détruire l’Europe. » Avant de demander à François Hollande, dimanche, à Frangy-en-Bresse, une « inflexion majeure de [notre] politique économique ». La phrase de trop semble-t-il.
L’éviction d’Arnaud Montebourg du gouvernement est dans la logique des institutions de la Ve République, que Jean-Pierre Chevènement avait bien résumée, le 22 mars 1983, en quittant le gouvernement de Pierre Mauroy pour protester contre le tournant de la rigueur : « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne. » Par la suite, cette règle non écrite a été enfreinte à plusieurs reprises, tant par des ministres de droite que par des ministres socialistes. Mais on n’avait jamais vu un ministre de l’Économie dénoncer point par point la politique économique du gouvernement auquel il appartient, politique qu’il a précisément la charge de conduire. Il est plus surprenant encore que, pour se séparer d’un ministre, François Hollande et Manuel Valls aient décidé de procéder à un remaniement. Provoquant le départ d’Aurélie Filippetti et de Benoît Hamon, alors que Manuel Valls souhaitait conserver à l’Éducation celui qui avait déclaré au Parisien n’être « pas loin des frondeurs ». Ce faisant, les deux têtes de l’exécutif ont pris l’initiative de révéler au grand jour la crise politique profonde qui couvait entre le Président et sa majorité. Et fait le pari de l’étouffer par excès d’autorité. En demandant à Manuel Valls de « constituer une équipe en cohérence avec les orientations qu’il a lui-même définies », François Hollande entend n’être entouré que d’un carré de fidèles et d’arrivistes qui lui devront leur promotion. Il fait primer la discipline gouvernementale sur la fidélité aux engagements qu’il a lui-même pris devant les Français, et signifie, on ne peut plus clairement, sa volonté de ne plus voir qu’une seule tête.
Jamais tendre avec l’ancien premier secrétaire du PS, qu’il connaît bien pour l’avoir longtemps côtoyé, Jean-Luc Mélenchon ne croyait sans doute pas si bien dire quand, dimanche, résumant le bilan de François Hollande après deux ans à l’Élysée, il déclarait : « Il a divisé la gauche, divisé sa majorité et maintenant voici qu’il a divisé son gouvernement. » Le fait est qu’après avoir enregistré le départ des ministres EELV et le refus d’une quarantaine de frondeurs de voter son pacte de responsabilité, François Hollande rétrécit un peu plus la base de son pouvoir. Le portrait sévère que fait de lui Cécile Duflot s’en trouve renforcé : « Faute d’avoir voulu être un Président de gauche, il n’a jamais trouvé ni sa base sociale ni ses soutiens. À force d’avoir voulu être le Président de tous, il n’a su être le Président de personne. » Si dans le récit qu’elle fait, « de l’intérieur » (voir p. 9), l’ancienne ministre du Logement révèle peu de chose qu’on n’avait pu observer de l’extérieur, son témoignage sur l’absence de discussion au sein du gouvernement prend un relief particulier. Et ce au moment où l’exécutif met nombre de députés socialistes et écolos devant un dilemme : se rallier à une politique qu’ils réprouvent ou renverser leur gouvernement et provoquer une dissolution dont ils sortiraient décimés. « J’ai eu la démonstration que nous sommes au bout du système présidentiel, qui permet à un homme de diriger seul pendant cinq ans, sans tenir compte de l’avis de son peuple », écrit-elle en concluant à la nécessité de « passer à la VIe République ». Une revendication en plein essor.