Denis Baupin : « Donner la priorité aux véhicules sobres »

Patrick Piro  • 25 septembre 2014 abonné·es
Denis Baupin : « Donner la priorité aux véhicules sobres »
© **Denis Baupin** est député Europe Écologie-Les Verts (EELV). Photo : CITIZENSIDE / IBOOCREATION

C’est la dernière ligne droite dans la bataille d’élaboration de la loi de transition énergétique. Le projet, présenté au Conseil des ministres en juillet, a été un peu retouché depuis par la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal. Il est aujourd’hui entre les mains d’une commission parlementaire ad hoc, « Développement durable » et « Affaires économiques », et doit être débattu à l’Assemblée nationale à partir du 1er octobre.

EELV est loin d’avoir obtenu toute satisfaction sur ce texte majeur pour les écologistes. Comment comptez-vous l’améliorer ?

Denis Baupin : Nous avons déposé plusieurs centaines d’amendements, et sur tous les sujets. Nous tentons d’obtenir des simplifications des procédures encadrant le développement des énergies renouvelables, le renforcement des dispositifs incitant à l’isolation thermique des bâtiments, de nouveaux moyens pour que les citoyens puissent maîtriser leur consommation d’énergie, des avancées au chapitre de la mobilité… Il faut aussi renforcer les compétences des territoires, qui pourraient devenir localement des « autorités organisatrices de la transition énergétique ». On constate que des pays fédéraux comme l’Allemagne ou la Suède sont bien plus avancés que la France. Certaines villes suédoises approchent de l’autonomie énergétique !

Comment vous paraît-il possible de gagner du terrain sur le nucléaire ?

Relevons tout d’abord que le texte inscrit dans le marbre les promesses de François Hollande : la baisse de la contribution du nucléaire à la production d’électricité, de 75 % actuellement à 50 % en 2025, ainsi que le plafonnement de la puissance des installations nucléaires en France à 63,2 gigawatts (GW) – soit leur capacité actuelle. Donc, si le gouvernement compte mettre en service le nouveau réacteur EPR en construction à Flamanville, il lui faudra fermer la centrale de Fessenheim. Ensuite, la loi définit une nouvelle gouvernance pour la filière : le gouvernement va désormais établir une programmation pluriannuelle de l’énergie qui s’imposera à EDF, et un commissaire du gouvernement siégera au conseil d’administration de l’entreprise avec droit de veto sur ses projets d’investissement. Ce dispositif permet d’enclencher la baisse de la part du nucléaire en France. Et quand le PDG d’EDF, Henri Proglio, juge possible de parvenir aux 50 % sans fermer de centrales, par l’effet d’une croissance de la consommation d’électricité, c’est une fanfaronnade : aucun organisme sérieux ne prévoit autre chose qu’une stagnation de la consommation dans les années à venir. Par ailleurs, la Direction générale de l’énergie et du climat, guère écologiste, a calculé qu’il faudra fermer une vingtaine de réacteurs nucléaires [^2] d’ici à 2025. Nous avons confiance : le texte ne dissimule pas d’échappatoire, il organise bien le recul du nucléaire.

Vous teniez beaucoup à limiter la durée de vie des réacteurs à 40 ans. Bataille perdue ?

Nous ne sommes pas majoritaires sur cette demande [^3]. Or, parvenir à 50 % de part du nucléaire en 2025 signifie qu’il faudra prolonger une dizaine de réacteurs au-delà de 40 ans de fonctionnement. EDF vise même jusqu’à 60 ans dans un but de rentabilité. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) n’a pas encore donné sa réponse. Pour notre part, nous souhaitons encadrer cette décision sur des critères dépassant la seule sûreté, avec un pouvoir de décision à l’autorité publique. Le président de l’ASN y est favorable, souhaitant une « concertation renforcée », inscrite dans la loi, ce qui a l’accord des socialistes. C’est devenu un sujet de débat. Aussi, à défaut d’un article stipulant que la durée de vie d’une centrale est limitée à 40 ans, nous comptons obtenir une définition claire de la responsabilité de chacun – EDF, État, ASN. Et l’on voit qu’EDF semble anticiper la reprise en main de l’État sur la politique énergétique. Auditionné par la commission parlementaire, Henri Proglio a convenu que, si le parc nucléaire est plafonné à 63,2 GW, et que sa part tombe à 50 %, l’entreprise s’adaptera. Je conteste d’ailleurs qu’il s’agisse d’une loi anti-EDF, comme on l’entend parfois. Pour nous, il s’agit, tout comme avec Areva, d’inclure l’entreprise dans le mouvement de la transition énergétique. Nous ne sommes pas pour sa mort, mais pour la diversification de ses activités.

Ségolène Royal met en avant la voiture électrique au chapitre de la mobilité propre. Et les transports collectifs ?

On pourra faire tous les efforts que l’on veut pour le tram, le bus, le vélo…, la voiture demeure hégémonique, et l’on n’avancera guère si elle n’évolue pas. Alors il faut pousser les industriels à construire des petits modèles très sobres, carburant aux énergies vertes. Il faudra leur donner accès aux voies prioritaires aux entrées de ville, favoriser les véhicules qui transportent au moins trois personnes, etc. Il faut s’attaquer à ce modèle absurde où les voitures sont conçues pour les grands trajets de vacances et qui, la majeure partie du temps, ne transportent que le conducteur. Résultat : embouteillages, gaspillage d’énergie, d’espace, de temps, 70 milliards d’euros d’importation annuelle de combustibles fossiles, etc. Les écologistes veulent montrer que leurs propositions sont bonnes pour l’environnement, mais aussi pour le pouvoir d’achat, l’emploi et la balance commerciale du pays. Nos auditions montrent que les esprits évoluent sur ces questions.

Ségolène Royal a choisi la procédure accélérée pour raccourcir les délais d’adoption de la loi. Une bonne chose ?

C’est un non-sujet. Il n’y aura donc que trois lectures au lieu de quatre devant les parlementaires : cela ne fait pas une si grande différence. D’ailleurs, avec deux allers-retours entre l’Assemblée nationale et le Sénat, nous constatons souvent de nombreuses redites qui n’apportent rien au débat. Par ailleurs, le Sénat a de fortes chances de passer à droite alors que l’examen sera en cours. Nous risquons d’avoir à affronter son opposition, ce qui ne changera rien car l’Assemblée nationale aura le dernier mot. Il serait préjudiciable que ce texte prenne encore du retard.

[^2]: Sur les 58 que compte le parc.

[^3]: Voir Politis n° 1309, du 26 juin.

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes

Pour aller plus loin…

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement
Environnement 19 novembre 2024 abonné·es

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement

Deux sénateurs de droite ont déposé une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc. : elle s’attaque frontalement aux normes environnementales, pour le plus grand bonheur de la FNSEA.
Par Pierre Jequier-Zalc
« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »
Entretien 13 novembre 2024 abonné·es

« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »

Climatosceptique de longue date, Donald Trump ne fera pas de l’écologie sa priorité. Son obsession est claire : la productivité énergétique américaine basée sur les énergies fossiles.
Par Vanina Delmas
« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »
Entretien 8 novembre 2024 abonné·es

« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »

Le collectif de chercheurs Scientifiques en rébellion, qui se mobilise contre l’inaction écologique, sort un livre ce 8 novembre. Entretien avec un de leur membre, l’écologue Wolfgang Cramer, à l’approche de la COP 29 à Bakou.
Par Thomas Lefèvre
Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »
Entretien 6 novembre 2024 libéré

Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »

L’ancien chargé de campagne chez Greenpeace décrypte comment la complicité des ONG environnementalistes avec le système capitaliste a entretenu une écologie de l’apparence, déconnectée des réalités sociales. Pour lui, seule une écologie révolutionnaire pourrait renverser ce système. 
Par Vanina Delmas