Institutions : Qui veut passer en « Sixième » ?
Avant Montebourg ou Mélenchon, de nombreux projets ont été avancés pour renouveler les institutions. Tous convergent pour rendre ses droits au Parlement, devant lequel le Premier ministre serait seul responsable.
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Au lendemain de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République, la journaliste Michèle Cotta publiait un ouvrage remarqué : Sixième République (Flammarion, 1974). La Ve République était alors tellement marquée par le général de Gaulle et le gaullisme, avec son héritier Georges Pompidou, que l’arrivée à l’Élysée d’un « centriste », jouant d’un style plus décontracté, apparaissait comme le début d’une ère nouvelle. L’auteure écrivait ainsi : « La VIe République est née avec Giscard. » Cette affirmation peu prudente sera rapidement démentie par la pratique du pouvoir du Président.
Faisant sienne les critiques anciennes de François Mitterrand à l’encontre de la Constitution de 1958, le Parti socialiste a promis, lors de chaque campagne présidentielle ou presque (celle de 2012 comprise), de modifier le régime. Mais, une fois arrivée (ou revenue) à la charge suprême, la première formation de la gauche s’est bien gardée de lancer le chantier des révisions promises. Toutefois, les appels à dépasser la Ve République et les projets d’une VIe se sont multipliés. De nombreuses voix à gauche n’ont cessé de dénoncer les institutions créées en 1958, notamment au PCF, mais des projets alternatifs ont également vu le jour au centre-droit. Ainsi le Centre démocrate, à la fin des années 1980, puis par la voix de Simone Veil en 1991, entend-il « rationaliser » le système institutionnel de la Ve République et propose essentiellement de supprimer la fonction de Premier ministre, sur le modèle états-unien, avec les ministres directement rattachés au Président. Les autres projets, à gauche, veulent surtout un « rééquilibrage » entre pouvoir exécutif et Parlement. Et défendent un système (dit « primo-ministériel ») où le pouvoir du Premier ministre, unique détenteur du pouvoir exécutif, émanerait – comme dans quasiment tous les régimes (démocratiques) européens – du Parlement, devant lequel il serait seul et pleinement responsable.
En 1992, le courant le plus à gauche du PS, la Gauche socialiste, emmenée alors par le trio Dray-Mélenchon-Lienemann, organise une première « Convention pour la VIe République ». Ils appellent à en finir avec ce régime sous le joug du président de la République. Même s’ils bénéficiaient alors du regard bienveillant du « monarque républicain » de l’époque, François Mitterrand… En 2001, c’est Arnaud Montebourg (qui en est toujours le président d’honneur), allié à Bastien François, en charge chez les Verts du dossier institutionnel et élu au conseil régional d’Île-de-France, qui reprend le flambeau d’une Convention pour une Sixième République (C6R), association regroupant au-delà du PS en faveur d’un régime « primo-ministériel ». Selon la définition de son actuel président, le constitutionnaliste Paul Alliès, professeur de droit public, son projet ne pense en aucun cas renouer avec les régimes parlementaires des IIIe et IVe Républiques, synonymes d’instabilité. Ainsi, la procédure du « vote bloqué » (articles 40 et 41, Constitution du 4 oct. 1958) ou le célèbre article 49-3, permettant au gouvernement de poser la question de confiance sur un texte, seraient conservés. Les propositions à gauche convergent toutes pour rendre ses droits au Parlement, devant lequel le Premier ministre serait seul responsable. Même Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, a déclaré fin août, lors de l’université d’été de La Rochelle, que le parti y réfléchirait durant son prochain congrès. Mais là où les différences se font jour, c’est essentiellement sur la voie à emprunter pour parvenir à l’avènement de cette VIe République. Notons que jamais l’histoire de France n’a connu de changement de régime constitutionnel en douceur, sans guerre, effondrement national ou péril pour la patrie…
Après son retrait de la coprésidence du Parti de gauche (PG) le 22 août dernier, Jean-Luc Mélenchon a présenté le projet d’une VIe République comme le vrai « candidat » de sa formation pour l’élection présidentielle de 2017. Entre membres de la C6R et militants du PG, les différences résident d’abord sur la question de la méthode. Les deux tendances conviennent qu’il s’agit en premier lieu, pour un candidat ayant pour programme l’instauration d’une VIe République… de remporter l’élection majeure de la Ve République. Et d’engager, comme l’article 11 le permet, une procédure de référendum sur un « projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». Mais la C6R a un projet « clé en main », publié depuis 2005, toutefois amendable dans une procédure de forum ( via Internet) par les citoyens, et discuté par des « experts », avant de revenir pour rédaction devant l’Assemblée nationale. Une autre voie pouvant aussi être celle, classique, des révisions contitutionnelles prévues par la Ve République dans son article 89. Le texte de la nouvelle constitution étant in fine soumis à référendum. Paul Alliès souligne : « Ce processus est tout à fait compatible avec la Constitution de 1958. » Et s’interroge sur la voie souhaitée par le PG : « Mélenchon, lui, veut passer par une Assemblée constituante. Mais qui la convoque, et comment ? »
Raquel Garrido, avocate de Jean-Luc Mélenchon et membre du PG, répond d’emblée : « Nous ne voulons pas de l’écriture d’une Constitution à partir de colloques, de rapports d’universitaires. Il faut rendre la parole au peuple. Et d’abord remporter la présidentielle, avec un candidat dont le principal engagement sera de convoquer une Assemblée constituante, grâce à l’actuel article 11. Notre travail de parti, c’est de faire venir les gens, de faire participer les citoyens, aujourd’hui exclus du débat public. » Si le PG se refuse à proposer une construction toute faite, Raquel Garrido donne des pistes pour ces nouvelles institutions : « Mettre l’accent sur la question écologique, celle des biens communs pour faire évoluer les fondamentaux du droit de propriété, inclure le droit de pétition législatif, la révocabilité des élus à partir de la mi-mandat… Mais la messe ne doit pas être dite ! C’est au peuple de s’investir et de débattre. » Il reste que, quelle que soit la voie proposée pour parvenir à le faire instaurer, il s’agira d’abord de renouer avec un régime « de responsabilité », où l’exécutif ne soit plus celui de la « défiance généralisée », ainsi qu’ont qualifié la Ve République Bastien François et Arnaud Montebourg.