Irak, Syrie : La somme de tant d’erreurs
La coalition formée sous l’égide des États-Unis pour endiguer la poussée de l’État islamique entre dans une guerre à l’issue incertaine.
dans l’hebdo N° 1319 Acheter ce numéro
Faut-il partir en guerre contre le mouvement jihadiste qui s’autoproclame « État islamique » (EI) ? On ne peut rester indifférent devant la rapide montée en puissance de cette organisation dont les desseins et les méthodes nous révulsent. À moins de considérer que désormais rien ne compte plus pour nous que nos difficultés domestiques, il est impossible de laisser sans réagir les troupes du nouveau « calife » Abou Bakr Al-Baghdadi poursuivre leur guerre de conquête et leurs massacres. On ne peut donc qu’adhérer aux conclusions de la conférence internationale qui a souligné, lundi à Paris, « l’urgente nécessité de déloger Daesh [l’acronyme arabe de l’État islamique, NDLR] des régions dans lesquelles il s’est établi en Irak ». En revanche, on peut émettre quelques doutes à la lecture de la suite du document final, car qui peut encore croire dans ce genre d’entreprise au « respect » invoqué « du droit international et de la population civile » ? Certes, les populations civiles n’ont aucune envie de tomber entre les mains de l’EI, et il n’y a donc probablement plus d’autre possibilité que de tenter d’endiguer l’avancée du mouvement jihadiste, mais on peut craindre que, dans tous les cas, ces populations fassent les frais de la guerre, qu’elles soient victimes des islamistes ou des bombes occidentales.
C’est décidément une mauvaise habitude française. On se souvient qu’en janvier 1991, lors de la première guerre du Golfe, la France de François Mitterrand avait ouvert un débat au Parlement, sollicitant un mandat de la représentation nationale alors que l’Irak était déjà sous les bombes. C’est pire cette fois. Car voilà de nouveau la France engagée dans un conflit de longue durée sans l’ombre d’une consultation des parlementaires. Quoi que l’on pense de la nécessité d’arrêter la progression des jihadistes, cette pratique est détestable. Elle ajoute au sentiment de mépris que peuvent éprouver les élus au moment où la démocratie est bafouée dans les domaines économiques et sociaux. Et elle renforce une pratique de pouvoir personnel de plus en plus anachronique. Aux États-Unis, Barack Obama a dû consulter le Congrès, et il devra rendre compte de l’exécution du mandat qui lui a été accordé au Moyen-Orient tous les 90 jours.
Les parlementaires français risquent en revanche d’être complices d’une autre entorse sévère à la démocratie. Ils s’apprêtaient, mercredi, à voter une loi qui, au prétexte de dissuader des candidats au jihad, créé une présomption de culpabilité et prévoit l’interdiction de sortie du territoire sur la seule base des intentions prêtées à certains de nos concitoyens (1). Le délit de faciès a de l’avenir.
(1) Voir p. 19.
Si les principales victimes de l’EI sont des Irakiens chiites, kurdes et chrétiens, et aussi des Syriens, il est vrai que le mouvement jihadiste recrute également sur la haine de l’Occident. En marge de la conférence de Paris, le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, qui ne manque jamais une occasion d’être stupide, a déclaré que nous sommes « sur une ligne de front d’une nouvelle bataille entre la tolérance et le fanatisme, la démocratie et le totalitarisme ». Le problème, c’est que le monde arabo-musulman, s’il a horreur dans son immense majorité du fanatisme de l’EI, n’est pas convaincu que la tolérance soit une vertu occidentale. Ni la guerre américaine de 2003 en Irak ni le soutien apporté par les Occidentaux à la colonisation israélienne, et aux massacres des Palestiniens, comme cela a été le cas cet été encore, ne sont de nature à les en convaincre. Le surpuissant mouvement jihadiste résulte donc plus ou moins directement de toutes les fautes commises par les Occidentaux au Proche et au Moyen-Orient depuis bien longtemps. Comme si nous payions ici l’addition. Une addition que payent aussi et surtout les populations locales.