Les coulisses du scrutin
Lors d’une semaine décisive, les parlementaires de la gauche critique ont tenté de convaincre leurs camarades d’hémicycle de ne pas voter la confiance.
dans l’hebdo N° 1319 Acheter ce numéro
Combien de députés ne donneraient pas leur confiance au gouvernement Valls 2 ? Peu avant le scrutin, ni les frondeurs du PS ni les écologistes ne risquaient un pronostic précis. Tout juste Pouria Amirshahi, figure de proue de la fronde, imaginait « doubler, voire tripler » le nombre des socialistes ayant refusé de voter la confiance le 8 avril dernier. « Nous, on ne suit pas les consignes de vote données par le groupe PS, alors on ne va pas demander à nos proches de suivre les nôtres ! », faisait observer, sans trop d’illusions, la députée Fanélie Carrey-Conte, l’une des 11 abstentionnistes au gouvernement Valls 1. Seule certitude : le « non » du groupe Front de gauche, où « la question ne s’est même pas posée », affirmait avant le week-end le communiste André Chassaigne. Comme d’habitude, les écolos auront fait durer le suspense. Jusqu’au bout, on ne savait pas qui respecterait le « pacte » de l’abstention arraché une semaine plus tôt par la gauche du parti [^2]. « Cécile Duflot [sur la ligne abstentionniste, NDLR] et Eva Sas [« noniste ], notamment, ont été très convaincantes », raconte Noël Mamère, qui a accepté, comme une demi-douzaine d’autres, de ne pas voter « avec [son] cœur » afin de *« préserver la cohésion du groupe face à un Manuel Valls qui veut nous diviser ».
« Les Journées d’été d’EELV ont pesé lourd dans la balance. Les pro-gouvernement se sont rendu compte que, s’ils continuaient comme ça, ils seraient vraiment marginalisés dans le parti », confie une députée écolo, avertissant que, si Denis Baupin, François de Rugy ou Barbara Pompili rompaient leur promesse, elle déposerait sans scrupule un bulletin « non » dans l’urne. Aucun « non » n’était en revanche à prévoir sur les bancs socialistes. Rassemblée pour son habituelle réunion du mardi, la cinquantaine de députés de la mouvance Vive la gauche a opté, dès le 9 septembre, pour l’abstention collective. « Pour faire entendre raison au gouvernement, il vaut mieux être quelques dizaines à s’abstenir que trois à voter contre. Quoi qu’en pensent ceux qui glosent sur la pureté ou l’impureté de notre démarche », faisait valoir, vendredi, Pouria Amirshahi, en réponse aux vives critiques de Jean-Luc Mélenchon. « Notre but n’est ni de créer une crise politique à 20 députés ni de sortir du PS, ce qui est une impasse stratégique », justifiait le frondeur d’Indre-et-Loire Laurent Baumel, passé jadis avec armes et bagages chez Chevènement avant de revenir au bercail. Reste que, malgré un contexte plutôt favorable – l’exfiltration de Montebourg, le succès des frondeurs à La Rochelle, les rodomontades du Premier ministre devant le Medef et les encouragements voilés de Martine Aubry –, il n’a pas été simple de convaincre qu’un changement de l’intérieur était possible. « Dans l’absolu, affirme Laurent Baumel, l’immense majorité des parlementaires est d’accord avec nous. Mais ils sont aussi sensibles aux arguments loyalistes portés par les proches de Valls : beaucoup craquent sous les menaces et les pressions “amicales”. » C’est donc une longue « maïeutique », selon le mot de Pouria Amirshahi, qui a été entreprise en interne, faite de textos, de réunions ou de déjeuners informels : « Beaucoup de camarades ne supportent pas l’idée que le groupe majoritaire se scinde en deux. Il y a une part de peur et de douleur à voir sa famille se déchirer. »
La semaine dernière, c’est donc sans angoisse ni fol espoir que les frondeurs préparaient le vote de confiance. « Il faut arrêter de tout polariser sur ce vote, d’entretenir un faux suspense ou de créer des oppositions artificielles : de toute façon, la Ve République permet peu les contre-pouvoirs », estimait Fanélie Carrey-Conte, surtout pressée de « préparer l’après ». Un acte II consistant d’abord à consolider l’empreinte des frondeurs dans le paysage politique. Puis à sortir du cadre parlementaire pour tenter de mobiliser la société civile. « L’affaire ne se termine pas avec le vote de confiance, veut croire Laurent Baumel. 2015 est une année d’élections, beaucoup d’événements sont à venir et, vu l’échec de plus en plus criant de sa politique, Valls va dévisser dans les sondages. Ils seront obligés de bouger. »
[^2]: Seule Isabelle Attard, passée des Verts à Nouvelle Donne, mais toujours apparentée au groupe écolo, entendait, « par simple cohérence avec ses idées », renouveler son « non » du 8 avril.