Les soignants en lutte contre « l’hôstérité »
L’importante manifestation du 23 septembre à Paris révèle la gestion catastrophique des hôpitaux.
dans l’hebdo N° 1320 Acheter ce numéro
« Dans mon établissement psychiatrique, nous sommes en lutte depuis le mois de janvier contre des économies décidées par le directeur, qui s’attaque à l’emploi par la suppression de RTT », relate Michel Fourmont, infirmier psychiatrique, secrétaire de SUD Santé-Sociaux. Il explique que le centre hospitalier Guillaume-Régnier de Rennes, l’un des plus importants établissements publics de santé mentale (EPSM) en France, accuse un déficit de 700 000 euros en 2013, sur un budget de 140 millions d’euros. « Le déficit va fortement augmenter en 2014, de l’ordre de 3 millions d’euros. Cela vient du fait que la dotation reversée aux EPSM n’est pas augmentée, voire supprimée pour un certain nombre d’entre eux. On crée artificiellement du déficit, ce qui permet aux directeurs d’hôpitaux de s’attaquer à la masse salariale, qui constitue 80 % du budget », ajoute le syndicaliste. Il précise que la suppression de « 5 jours de RTT entraîne la disparition de 50 postes sur plus de 2 200 salariés ». Sans compter « de nouveaux modes de calcul des salaires qui feraient perdre des milliers d’euros aux salariés », relève aussi l’intersyndicale de l’EPSM de Rennes. Conséquence, la Haute Autorité de santé (HAS) a rejeté la certification de l’établissement en mai, au motif que la sécurité des biens et des personnes n’était plus assurée.
« Les hôpitaux sont étranglés . Il ne reste plus qu’à en fermer ! », s’indigne un responsable de pôle dans un hôpital public qui regroupe une centaine de soignants. Dans un rapport publié en avril, la Cour des comptes s’est alarmée que la dette des hôpitaux publics ait triplé en dix ans, pour atteindre 29,3 milliards d’euros en 2012. Pour faire des économies, Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF), a récemment proposé devant les députés de plafonner les jours de RTT à 15 par an. Cette mesure a consterné l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), qui rappelle que, déjà, « les médecins doivent faire 48 heures par semaine payées 39… », et que les services d’urgence ont enregistré en 2012 plus de 18 millions de passages, soit 30 % de plus en dix ans. « Le gouvernement voudrait réduire à peau de chagrin le réseau de soin public de la santé, du médico-social, du social ou de l’aide à domicile qu’il ne s’y prendrait pas autrement », souligne une lettre adressée aux élus et responsables politiques par la fédération SUD Santé-Sociaux, l’une des organisations membres de la Convergence des hôpitaux en lutte contre « l’hôstérité », qui a organisé la manifestation nationale du 23 septembre.
Le Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP), animé notamment par André Grimaldi, chef de service à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, déplore « le statu quo prévu par la future loi de santé publique concernant la gouvernance mise en place par la loi HPST [Hôpital, patients, santé, territoires, loi de 2009, NDLR] et inspirée par la gouvernance des entreprises marchandes ». Depuis 2009, « rien n’a changé. C’est même pire ! Les médecins n’ont pas voix au chapitre et il n’y a pas de contre-pouvoir. Les directeurs d’hôpitaux ne font qu’appliquer une boîte à outils pour faire des économies », affirme Michel Fourmont. Ceux-ci disposent d’une circulaire du ministère de la Santé « relative à l’équilibre financier des établissements de santé », accompagnée d’un guide prônant des plans de redressement digne des entreprises du CAC 40. Les directeurs d’établissements de santé sont en effet invités à adopter un « positionnement concurrentiel », en fonction de « parts de marché par rapport aux autres établissements de santé publics et privés » .
Cette gestion est la cause de la « fermeture de la réanimation à Briançon, à Chaumont, à Dôle, et de la chirurgie à Sarlat », recense la coordination nationale des Comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Elle souligne la disparition de centres d’IVG et la suppression de dizaines de lits d’hospitalisation. Face à cette situation, Marisol Touraine, ministre de la Santé, a assuré que le rythme de la baisse des dépenses publiques, figurant dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015, ne remettra « pas en question la qualité de notre système de santé ». Sans convaincre. « Ce que dit Marisol Touraine n’est pas vrai. On applique des politiques non avouées qui réduisent la qualité de la santé en France. De nombreux exemples en attestent », affirme Olivier Mans, cadre supérieur de santé à l’EPSM de Caen. « Chez nous, deux services d’admission sur six doivent disparaître. On est à la limite. » La fédération SUD Santé-Sociaux observe pour sa part un « transfert de ce que l’on peut dorénavant, mais malheureusement, appeler le marché de la santé vers le privé lucratif », qui mettrait à mal l’accès aux soins.