« Pour les musulmans », d’Edwy Plenel : Logique toujours coloniale
Edwy Plenel démonte les mécanismes d’une islamophobie quasi officielle.
dans l’hebdo N° 1320 Acheter ce numéro
En choisissant le titre de son livre, Edwy Plenel a souhaité se référer à un article méconnu de Zola, paru deux ans avant son fameux J’accuse. Pour les juifs a marqué l’engagement de l’auteur de l’Assommoir dans la défense de Dreyfus et, plus largement, contre l’antisémitisme. Pour les musulmans est une interpellation à l’adresse d’une France gagnée par une islamophobie quasi officielle. Une France qui ne s’étonne pas d’entendre sur une radio de service public un académicien, Alain Finkielkraut, affirmer qu’il y a dans notre pays « un problème de l’islam ». Car voilà bien pourquoi la référence à Zola n’est pas seulement formelle. Si l’antisémitisme ressurgit périodiquement, en relation avec les événements du Proche-Orient, s’il mine toujours une partie de notre société, il ne figure plus dans le discours des responsables publics. Et, lorsque c’est le cas, on parle de « dérapage ». Rien de tel avec l’islamophobie, qu’un éditorialiste très établi pouvait, en 2003, revendiquer comme une légitime « opinion ». Et lorsqu’on demande à Manuel Valls, encore ministre de l’Intérieur, quels sont les trois défis des dix prochaines années, il cite « l’immigration, la compatibilité de l’islam avec la démocratie, et le regroupement familial ».
C’est-à-dire, à peu de chose près, trois fois l’islam. Un islam évidemment uniforme, indistinct et global. Quant à Nicolas Sarkozy, il n’hésite pas, lui, à établir une hiérarchie des civilisations, démontrant ainsi que la logique coloniale est toujours à l’œuvre. On retrouve dans cette islamophobie ancrée dans le discours officiel les invariants d’un racisme hélas éternel : la recherche de boucs émissaires – le plus souvent pour « ethniciser » la question sociale – et cette essentialisation qui réduit les musulmans, comme jadis les juifs, à une seule composante de leur identité. Chemin faisant, le fondateur de Mediapart ouvre son propos à des problématiques évidemment associées : le rapport de la République à la religion et les détournements de la laïcité. Il convoque quelques grands auteurs marxistes, à commencer par Marx lui-même, dont il revisite la fameuse formule « la religion est l’opium du peuple », plus complexe que l’usage qui en est fait aujourd’hui. Où l’on voit, pour citer Trotski, que c’est le « chaos terrestre » qu’il faut abolir, puisque le « chaos religieux » n’en est que le reflet. Mais Plenel n’élude pas les dérives d’un certain islam, même s’il est le fait d’une infime minorité. Il mesure cependant la part des responsabilités. Il cite Edward Saïd qui évoquait cet « islam » « résolument prêt à jouer le rôle que lui a instinctivement assigné l’Occident, soumis à l’orthodoxie dominante et en proie au désespoir ». C’est vrai, bien sûr, au Proche et au Moyen-Orient. C’est vrai aussi en France, quand les crispations identitaires finissent par répondre aux sommations à l’assimilation qui sont autant de dénis d’identité.