Une question incongrue
Dans « la vraie vie », et non dans la comédie politique, la réponse de nos concitoyens à la question de confiance serait, au mieux, un immense éclat de rire.
dans l’hebdo N° 1318 Acheter ce numéro
La mécanique institutionnelle est ainsi faite : un Premier ministre qui vient de former un nouveau gouvernement se doit de prononcer devant l’Assemblée nationale un discours dit « de politique générale ». Et l’usage veut qu’il sollicite ensuite la « confiance » des députés. C’est donc ce que fera Manuel Valls mardi prochain. Apparemment, rien que du classique. Mais dans les circonstances actuelles, cette question a quelque chose d’incongru. Je ne peux m’empêcher de penser que si nous étions dans « la vraie vie », et non dans la comédie politique, la réponse de nos concitoyens serait, au mieux, un immense éclat de rire. Car voilà un Premier ministre et, derrière lui, un président de la République qui trompent leurs électeurs dans les grandes largeurs. En juin 2012, François Hollande n’a pas attendu un seul jour pour faire l’exact contraire de ce qu’il avait promis la veille. Et c’est, depuis lors, une succession de renoncements. De « trahisons », disent certains.
Alors, cette « question de confiance », c’est un peu l’histoire du gars qui vous a piqué votre portefeuille et qui vient vous demander de lui prêter de l’argent. Qui, dans ce pays, peut encore affirmer qu’il a foi en la parole de MM. Hollande et Valls ? Mais, ce n’est pas à tous les Français que la question s’adresse, c’est aux parlementaires. On pressent, hélas, au moment du vote, qu’un certain nombre d’entre eux auront en tête une préoccupation plus personnelle : que va-t-il se passer pour moi si je n’accorde pas ma confiance au gouvernement ? D’où la tentation de l’abstention chez certains frondeurs. C’est bien pourquoi il faudra aux députés socialistes et aux Verts un certain courage pour dire « non », en résistant à tous les chantages [^2]. Le chantage à la dissolution. Le chantage au Front national dont Manuel Valls ne s’est pas privé le week-end dernier, à Bologne. Et c’est bien de chantage qu’il s’agit. Car, rappelons-le, il n’y a aucune fatalité à ce qu’un vote négatif des députés entraîne une dissolution, c’est-à-dire ipso facto un retour au pouvoir de la droite. Tout au contraire, la logique voudrait que François Hollande appelle à Matignon un nouveau Premier ministre pour appliquer le mandat qu’il avait sollicité de ses électeurs en 2012. Une femme ou un homme fidèle à l’esprit du discours du Bourget. Car, dans la crise morale que traverse notre pays, tout part des promesses non tenues. Tout procède de ce sentiment que l’élection ne sert à rien, puisqu’il n’en est pas tenu compte.
Le reste n’est que littérature , et mauvaise littérature. L’impudique confession de Mme Trierweiler, dont les médias ont fait grand cas, ne serait qu’une très vulgaire péripétie si François Hollande menait la politique pour laquelle il a été élu. Les secrets d’alcôve passionneraient moins l’opinion si tout un chacun, à tort ou à raison, ne cherchait pas dans ces pages fétides l’explication psychologique du comportement politique du Président-qui-ne-respecte-jamais-sa-parole. Ce qui est grave dans cette histoire, c’est paradoxalement une sorte de cohérence. Nous avons l’impression, sans doute excessive, que « tout se tient ». Le cynisme du Président, en privé comme en public, les attaques de M. Rebsamen contre les chômeurs, les amnésies fiscales de M. Thévenoud. Tous les couacs, toutes les affaires prennent sens. Et beaucoup de commentateurs ont tort de ramener ces incidents à une inaptitude au commandement, comme on dit dans l’armée. Le mal est plus profond. C’est tout un monde un peu balzacien qui se dessine, et dont la sincérité n’est pas la vertu première. Apparemment, les Français s’y retrouvent encore dans ce fatras. Si on en croit un sondage paru dans le Journal du dimanche, le principal reproche que 33 % d’entre eux adressent à François Hollande, c’est de ne pas avoir respecté ses promesses [^3]. Et 5 % seulement, « l’exposition de sa vie privée ». Un voyeur gît sans doute en chacun de nous, mais il n’oublie pas pour autant l’essentiel.
Et l’essentiel, c’est bien la crise démocratique. Plus que jamais, on mesure à quel point les institutions de la Ve République nous mettent à la merci d’un seul homme. On mesure combien est préjudiciable un système qui garantit à cet homme-là une totale impunité, même quand il piétine son mandat. Voilà pourquoi il est urgent de soulever la question institutionnelle. Le spectre de la guerre d’Algérie, qui a justifié jadis l’avènement d’une République autoritaire, ne pourra pas servir longtemps encore à esquiver une refonte profonde de nos institutions. Il est grand temps de permettre au peuple de réaffirmer sa souveraineté. D’une certaine façon, les parlementaires de gauche ont la possibilité, le 16 septembre, en refusant au gouvernement cette impossible confiance, de hâter cette révolution démocratique. Ce serait une première affirmation de leur pouvoir. En attendant mieux.
[^2]: Nous publions en p. 11 un appel de cinq militants d’EELV, dont le maire du IIe arrondissement de Paris, Jacques Boutault. D’autres appels d’écolos vont dans le même sens. Tant mieux.
[^3]: Sondage, Ifop-JDD du 7 septembre.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.