C’est quoi, être de gauche ? Alain Badiou : « Proposer une stratégie historique »
**Alain Badiou** , philosophe.
dans l’hebdo N° 1325 Acheter ce numéro
Notre « démocratie » fonctionne sur la base de deux grands partis dits « de gouvernement ». L’un est la droite, l’autre la gauche. Quand l’un rencontre des difficultés dans ce qui est sa fonction principale – assurer un consensus aussi stable que possible autour de l’organisation capitaliste de l’économie –, l’autre fait des promesses sociales qu’ensuite il déclare ne pas pouvoir tenir, arguant de la « réalité ».
Ainsi, la politique réelle use, fatigue, corrompt tous les mots dont elle se sert. Trois des termes qui ont désigné le camp du progrès sont sortis de l’épreuve historique en piteux état. « Gauche » et « démocratie » sont désormais des signes de reconnaissance des impérialismes occidentaux. Tout le monde confond « communisme » avec feu les États socialistes.
Le travail idéologique de l’émancipation revient dans ces conditions à – disait Mallarmé – « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Mais trois mots à la fois, c’est trop ! On abandonnera donc « gauche » et « démocratie » à leur sort et on se concentrera sur « communisme », peut-être le plus malade des trois, mais le plus nécessaire aujourd’hui, je dirais même celui sans lequel tout est vain.
Car lui, et lui seul, désigne l’implacable désir d’un antagonisme créateur à tout l’ordre existant, lui seul annonce que la pensée politique ne propose pas un aveugle et infini bricolage, mais une stratégie historique. À terme, peut-être à très long terme, être de gauche et être démocrate feront retour comme des sous-vocables de ce qui nous unifiera : porter partout dans le monde le nouveau communisme.