C’est quoi, être de gauche ? Annie Ernaux : « Ce que je veux pour moi, tout le monde y a droit »
**Annie Ernaux** , écrivain.
dans l’hebdo N° 1325 Acheter ce numéro
Être de gauche, c’est un regard sur soi et sur le monde, sur soi dans le monde : voir l’Autre, qu’il soit malien ou chinois, hétéro ou homo, catholique, juif ou musulman, gitan, SDF, voire criminel, pédophile, comme d’abord semblable à soi et non pas d’abord différent, d’abord étranger.
C’est, au fond, le regard de Térence – ancien esclave, est-ce un hasard ? « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. »
Et donc, être de gauche, c’est considérer que ce que je veux pour moi – la liberté, un toit, l’égalité de traitement, de dignité, la justice, le respect, des perspectives d’avenir, etc. –, tout le monde y a droit. Devrait.
Être de gauche, fondamentalement, c’est ne pas prendre son parti de ce qui existe, de l’injustice du hasard de la naissance, de l’inégalité des conditions, des dominations sociales, culturelles, sexistes. C’est être convaincu que les sociétés sont perfectibles et non pas fondées sur un ordre naturel inéluctable.
Donc vouloir une politique qui corrige les injustices : priorité de l’éducation sur la répression, partage du travail, redistribution des richesses par l’impôt avec la taxation supérieure des revenus du capital sur ceux du travail, création d’un revenu minimum pour tous. Une politique écologique qui préserve l’avenir de la planète.
Être de gauche, ce n’est pas être idéaliste, mais au contraire très réaliste, en refusant les « recettes » libérales et le repli conservateur, en misant sur les forces actives de toutes les composantes – y compris la plus récente – de la société française.