C’est quoi, être de gauche ? Pierre Dardot : « Construire le postcapitalisme »
**Pierre Dardot** , philosophe.
dans l’hebdo N° 1325 Acheter ce numéro
Ce qui est nouveau, c’est un gouvernement qui s’en prend de manière aussi ouverte et décomplexée au socle symbolique sur lequel la gauche s’est construite, ce qui produit des effets de désorientation. On ne peut pas se consoler en réduisant la gauche à une idée d’égalité et de démocratie en général. Il serait vain de vouloir dissocier la gauche, qui serait une idée pure, de ses avatars circonstanciels, pour mieux affirmer que « la gauche ne peut pas mourir ». Comme s’il suffisait de revenir à la Révolution française ou au Conseil national de la Résistance.
La gauche est une construction politique et historique. Elle n’est pas un espace déterminé une fois pour toutes. Elle fait continuellement débat. Souvenons-nous de l’époque où s’affrontaient la première et la deuxième gauche. Seule la dispute peut faire surgir une éventuelle entente. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que les mots sont piégés. Manuel Valls utilise les mots « progrès » et « émancipation », mais, pour lui, l’émancipation est individuelle et dans la concurrence. Qu’est-ce qu’il y a derrière sa charge contre les Trente Glorieuses ? Il y a le fait qu’il assume l’idée d’un État devenu un acteur néolibéral à part entière.
Deux conditions doivent être réunies pour la réinvention de la gauche : une opposition radicale au néolibéralisme, qui est une opposition au capitalisme, et un projet positif qui ouvre la voie à la rupture. On ne peut plus tout subordonner à l’objectif de la prise du pouvoir. C’est dans les pratiques d’aujourd’hui que se construit un avenir postcapitaliste. C’est dans une pratique démocratique de l’autogouvernement. Ce que nous appelons, avec Christian Laval, les « communs ».