Chante ton bac d’abord ! : Leur parenthèse enchantée
Documentaire musical ancré à Boulogne-sur-Mer, Chante ton bac d’abord !, de David André, dessine tout en subtilité le tableau social d’une jeunesse.
dans l’hebdo N° 1323 Acheter ce numéro
«C’est l’histoire de nos 17 ans comme vous l’avez vécue, l’histoire de nos parents comme vous l’êtes devenus », chante Gaëlle, porte-drapeau de cette petite bande de copains. Des adolescents de 17 ou 18 ans, avec « des rêves plein la tête plutôt que des plans de carrière », au moment du bachot. Instant crucial, moment charnière. Autour de Gaëlle, ils sont quatre. Caroline, Rachel, Alex, Nicolas. Filmés au plus près des corps par David André, cadrant l’insouciance, la fébrilité, des joliesses d’idéalisme et d’amitié. Dans l’entre-soi, face caméra, on cause de doute, d’avenir peut-être incertain, d’ambition malgré tout, d’amour dans la grisaille. On rit aussi.
Le toutim dans le béton portuaire de Boulogne-sur-Mer, ville touchée par la désindustrialisation, le chômage. Au reste, la question du boulot est omniprésente. « Pour trouver du taf à Boulogne, c’est le coup de chance ! », dit le père d’un ado. « Leur avenir n’est plus par ici », renchérit une mère. Ce paysage urbain, marqué, dérouillé, n’a pas été choisi par hasard par un réalisateur né dans le Nord, un Ch’ti influencé par le documentaire social anglais. « L’idée du film a traîné mollement durant plusieurs années, explique David André. Jusqu’à ce que je passe à Boulogne-sur-Mer, qui s’est révélé comme une évidence, avec son bahut, ses rues en brique descendant vers la mer, ses populations. J’avais l’impression d’être dans le décor de Billy Elliot ! C’était le théâtre adéquat. » Un théâtre dans lequel le cinéaste injecte des doses d’insouciance, un plein fagot de légèretés adolescentes, loin de la rigueur et de l’âpreté de ses précédents films, la Vie amoureuse des prêtres et, plus encore, Une peine infinie, autour de la peine capitale aux États-Unis. Deux œuvres époustouflantes. Mais, mine de rien, juge David André, « je n’y vois pas beaucoup de différences, plutôt des points communs. Comment vit-on la justice ou l’injustice dans le système américain ? Et comment vit-on la projection de ses enfants dans la France en crise ? Comment raconter une histoire humaine en tirant vers l’universel ? Comment traiter les romans familiaux ? Tout ce qui relève des mythologies familiales, comme dirait Jung, m’intéresse. Et à chaque film son dispositif. Des plans longs et larges sur un paysage au-dessus d’une industrialisation de la mort, dans Une peine infinie, des gosses qui, dans Chante ton bac d’abord !, montrent une certaine énergie, du romantisme, expriment leurs rêves en chanson » .
Parce que, justement, David André ne fait rien comme tout le monde. Tourné en 2013, en neuf mois, monté en quatre mois et demi, nourri de deux cents heures de rushs, Chante ton bac d’abord ! est précisément chanté, ponctué de mélodies écrites et composées par le réalisateur et les adolescents, « comme des pages enchantées dans un monde désenchanté ». Faisant ainsi du film un documentaire social et musical, ovni foldingue, plongeant le propos réaliste dans la magie, flirtant avec la fiction. Avec ce détail : il n’y a ni scénario ni acteurs. « Plus que dans la comédie musicale de fiction, le fait que ces personnages existent réellement crée un effet de sidération. La vérité sociale est plus soulignée encore. La chanson ajoute une dimension poétique aux interviews, alors que c’est en partie fictionné, mis en scène. La question était de savoir si la chanson allait contaminer le réel », explique David André. Ce n’est pas le cas. Sans doute parce que la caméra joue des subtilités, d’une fragilité prégnante. D’un port à l’autre, de là à songer aux Parapluies de Cherbourg, le pas est vite fait. Musical, le film de Demy n’en était pas moins politique, avec des bas-côtés de la guerre d’Algérie. David André se défend de toute comparaison, parce que Demy « est indépassable ». Mais Chante ton bac d’abord ! n’en est pas moins politique, porté par des êtres confrontés au monde du travail. Qui jamais ne grossit le trait, filme dans l’humilité. L’estampille même du réalisateur.