Elias Sanbar : « Des Territoires palestiniens à un État reconnu »
Elias Sanbar analyse le changement de stratégie de l’Autorité palestinienne dans un contexte nouveau qu’il juge favorable.
dans l’hebdo N° 1324 Acheter ce numéro
La 69e Assemblée générale des Nations unies a inscrit à son ordre du jour la sempiternelle question palestinienne. Le débat s’est ouvert mardi. Au bout du chemin, le Conseil de sécurité aura à se prononcer sur un projet de résolution présenté par Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. Ce n’est pas la première fois, et beaucoup d’espoirs et d’illusions ont déjà été déçus. Mais Elias Sanbar, analyste et historien de cette si longue histoire, auteur de nombreux ouvrages, estime que les conditions sont cette fois différentes. Il nous dit pourquoi.
Qu’attendez-vous de nouveau de cette assemblée ?
Elias Sanbar : La tenue de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité n’est qu’une étape dans ce que l’on peut qualifier de nouvelle approche dans la recherche d’une solution conduisant à l’établissement d’un État palestinien souverain et indépendant. L’idée fondamentale a été d’inverser la procédure. Jusque-là, et en un quart de siècle de négociations, nous n’avons rien obtenu d’autre qu’un supplément de colonisation. Le point fondamental de la paralysie est de nature procédurale. C’est l’idée qu’il devait y avoir un premier accord, puis un statut intérimaire, puis la discussion sur le statut final. Ce qui a permis à ceux qui ne voulaient jamais arriver au statut final de faire en sorte que l’intérimaire devienne le définitif. Nous en sommes arrivés à l’idée qu’il fallait inverser la procédure. Ce que nous proposons aujourd’hui est une véritable rupture. Nous voulons d’abord fixer les frontières, dire quelle sera la capitale, et quelle est la date limite à partir de laquelle il n’y aura plus d’occupation. Une Palestine dans les frontières de 1967, en nous appuyant sur la résolution 242, Jérusalem-Est comme capitale, et un délai de deux ans. Voilà le cadre. Dans deux ans, c’est fini. À partir de là, nous sommes prêts à remonter les problèmes : comment procéder pour arriver à une fin que nous connaissons déjà ? Le projet de résolution fixe cette nouvelle procédure et fixe ce délai. L’intérêt est de définir les frontières. Une fois que l’on aura dit quelles sont les frontières de la Palestine, on aura dit aussi les frontières d’Israël. Car qui peut dire aujourd’hui quelles sont les frontières d’Israël ?
Mais la résolution palestinienne a-t-elle une chance de passer ?
Il nous faut une majorité au Conseil de sécurité, c’est-à-dire neuf voix. Et il nous faut éviter le veto américain. Nous devons obtenir des Américains une abstention. Il y a du travail pour y parvenir. Certains des alliés des États-Unis y travaillent [^2]. Ils leur disent : « Ne compliquez pas les choses ! » C’est ce travail et son issue qui vont déterminer le moment où nous présenterons la résolution. Le 21 octobre commence donc le débat sur cette question, mais pas encore sur la résolution proprement dite.
Qu’est-ce qui vous laisse supposer que les États-Unis pourraient ne pas utiliser leur veto, comme ils le font toujours quand il s’agit d’Israël ?
Ce qui est important dans ce contexte, ce sont les reconnaissances. Plus de 130 pays ont déjà reconnu la Palestine dans son statut d’observateur aux Nations unies. Mais, avec les nouvelles reconnaissances de ces dernières semaines, il y a un saut qualitatif. Les frontières sont définies. Ce sont des reconnaissances d’État. C’est ce qui est important dans le précédent britannique [^3]. La Suède l’a fait au niveau de son gouvernement. Les contacts avec la France sont positifs. Si la France franchit le pas, elle entraînera trois ou quatre pays. Ce qui peut enclencher un mouvement. Ce n’est pas seulement du symbolique. La colère des Israéliens en témoigne. Il y a vraiment quelque chose de nouveau. Nous demandons la consécration du principe pour pouvoir négocier la procédure. Nous passons de l’usage du pluriel au singulier, des territoires au pays. Rien n’est acquis, mais c’est une bataille, et nous avons beaucoup de raisons d’espérer.
J’imagine que, dans vos raisons d’espérer, il y a un contexte général que vous jugez plus favorable…
Nous avons eu vingt-cinq ans pour constater que les dirigeants israéliens ne veulent pas de solution, qu’ils ne veulent pas d’État palestinien, même s’il leur arrive d’en parler. C’est le premier élément, négatif. Mais ce qui a accéléré les choses, c’est évidemment la guerre à Gaza. Elle a eu des effets énormes sur les opinions, sur les États et sur les responsables politiques. Le fait qu’Israël ait ensuite mis la main sur 400 nouveaux hectares dans la région de Bethléem, en Cisjordanie, en signe de punition collective, au lendemain des massacres commis à Gaza, a renforcé cette prise de conscience. Tout le monde est convaincu aujourd’hui que les dirigeants actuels d’Israël ne connaissent pas de limites.
**Soyons optimistes. Que se passera-t-il si la résolution est adoptée ? **
Si elle est adoptée, la Palestine ira immédiatement à la table de négociations. Si Israël ne veut pas, tous ceux qui auront pris position en faveur de la résolution devront agir. S’il y a une proclamation en masse, Israël sera dans une très mauvaise position. Et plus encore si les États décident d’ouvrir des ambassades palestiniennes chez eux, et s’ils décident que leurs consulats à Jérusalem-Est deviennent des ambassades. Cela provoquera une grosse crise en Israël. Nous avons déjà vu une pétition d’une centaine de personnalités israéliennes demandant au Parlement britannique de voter la reconnaissance.
**D’autres obstacles ne risquent-ils pas de venir du côté palestinien ? Où en est le Hamas ? **
Le Hamas n’a pas accompli une mutation idéologique telle qu’il accueille le gouvernement d’union nationale avec enthousiasme. Il s’y est résolu parce qu’il a jugé que c’était aujourd’hui la seule solution. C’est un acte de réalisme. Personne ne demande au Hamas de renoncer à son idéologie ni de renoncer au religieux. Il faut dire que, de l’autre côté aussi, il y a beaucoup de religieux. Il ne s’agit donc pas de cela. Il ne faut pas croire que le Hamas ne fait pas de politique, et qu’il agirait uniquement en fonction de critères théologiques. Le Hamas tient compte aussi de la réaction de la population. Il n’y a pas eu en Palestine une guerre civile entre des gens qui étaient religieux et d’autres qui le seraient moins. C’était un affrontement entre deux partis. Et le peuple n’était que spectateur. Et il n’aimait pas du tout ce spectacle. J’ajoute que d’autres facteurs ont joué. La situation en Égypte a également compté, et les amis du Hamas l’ont encouragé à « bouger ». Il faut également préciser que le gouvernement d’union nationale ne comprend pas de membres du Hamas. Il est agréé par le Hamas. La nuance est importante.
Qu’est-ce qui motive le gouvernement israélien aujourd’hui ?
Ce qui motive les Israéliens, c’est une idéologie coloniale délirante qui nous propose Dieu comme partenaire de négociation. N’oublions pas le mot de Rabin, qui détestait les colons : « Dieu n’est pas un agent immobilier. »
Croyez-vous que le contexte régional en Syrie et en Irak peut déterminer les capitales occidentales à se mobiliser davantage pour soutenir votre démarche ?
Il y a deux analyses. Il y a ceux qui disent que, même si on règle le conflit israélo-palestinien, il n’est pas sûr que ça calme les mouvements fondamentalistes. La seconde analyse s’en tient toujours à l’idée de la centralité du conflit israélo-palestinien. Il y a du vrai dans les deux. Bien sûr, la résolution du conflit ne réglera pas tout mécaniquement. Mais ça consoliderait énormément le discours de tous ceux qui pensent qu’il ne faut pas chercher de solution dans le fondamentalisme. Et n’oublions pas que l’injustice historique faite à la Palestine mine les sociétés arabes.
[^2]: La France, dit-on, serait de ceux-là. Laurent Fabius, en tout cas, s’y emploierait avec infiniment de prudence.
[^3]: Le Parlement britannique s’est prononcé le 13 octobre pour la reconnaissance d’un État palestinien, appelant le gouvernement à faire de même.