En attendant le congrès de « clarification »
La gauche du PS, forte du sentiment que les militants, les écologistes et les communistes n’approuvent pas la politique du gouvernement, prend ses marques en prévision d’un congrès dont la date reste incertaine.
dans l’hebdo N° 1322 Acheter ce numéro
On n’en connaît encore ni la date ni le lieu. Mais tous les responsables du PS songent déjà au prochain congrès. Les statuts du parti prévoient son organisation à mi-mandat, soit mi-novembre. En lieu et place, Solférino a lancé sur la durée de l’automne des États généraux du PS. Une consultation destinée à redéfinir l’identité du parti d’Épinay, mais sans enjeu de direction. Et qui évite surtout de discuter de la politique économique et sociale du gouvernement, ou de la stratégie du parti. Dénonçant une diversion, toutes les sensibilités qui composent la gauche du parti, comme les frondeurs – qui ne veulent plus qu’on les appelle ainsi –, réclament un vrai congrès en 2015. L’exécutif, lui, souhaite repousser le rendez-vous en 2016, après les échéances électorales départementales de mars et les régionales de décembre. Afin de proposer une date à la fin du mois, Jean-Christophe Cambadélis a annoncé lundi la mise en place d’une commission composée de deux représentants de chacun des courants du congrès de Toulouse (2012). Sans attendre cet arbitrage, dont Benoît Hamon estime qu’il traduira in fine le choix de François Hollande et de Manuel Valls, les oppositions internes s’organisent en vue de ce rendez-vous qui permettra de jauger le soutien des militants à la ligne politique de l’exécutif.
Le week-end dernier, au Vieux-Boucau (Landes), où le courant Un monde d’avance (Benoît Hamon et Henri Emmanuelli) tenait son université de rentrée, Guillaume Balas, son secrétaire général, a exhorté ses troupes à s’y préparer en commençant par « recruter et faire revenir ceux qui sont partis », précisant que c’était là une « tâche immédiate ». Au domaine de Bierville (Essonne), où Maintenant la gauche tenait parallèlement son université de rentrée, l’heure était également à la préparation du congrès du PS. Un congrès que les animateurs de ce courant, Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann et Jérôme Guedj, voient comme un « congrès de clarification ». « Il n’y a pas de majorité dans le parti pour porter le pacte de responsabilité », a affirmé l’eurodéputé Emmanuel Maurel. « On ne va pas laisser le Parti socialiste à ceux qui ne le sont plus, socialistes », a-t-il ajouté, expliquant vouloir ce congrès « pour prouver que cette politique n’est pas menée en notre nom ! ». Une clarification, c’est aussi ce que réclament plusieurs députés « contestataires » invités au Vieux-Boucau. Autant par souci de légitimer leurs prises de position, que pour pallier la démobilisation des militants. « Si ce congrès n’a pas lieu avant l’été 2015, ce sera mort », avertit le député du Morbihan Philippe Noguès, qui « sent une lassitude, même chez ceux qui nous supportent ». « L’entrée en scène des militants socialistes dans le quinquennat est vitale. Dans l’année 2015, il faut qu’on sache si oui ou non l’ensemble de celles et de ceux qui ont porté François Hollande au pouvoir à travers le processus des primaires et à travers la campagne électorale de 2012 sont d’accord avec le tournant de politique économique et sociale qui a été appliqué », renchérit Laurent Baumel. Le député d’Indre-et-Loire y voit « une question de démocratie fondamentale ». Auparavant, le même avait justifié le choix de s’abstenir plutôt que de voter contre la confiance au gouvernement : « Un vote contre à 20 ou 30 […] nous aurait emmenés collectivement dans une logique de scission, d’abord du groupe [socialiste] puis […] du parti, nous empêchant par là même de mener avec vous cette bataille politique de clarification », a-t-il expliqué devant trois cents militants. « Cela aurait signifié que le Parti socialiste appartient à François Hollande et à Manuel Valls, que nous étions minoritaires sur notre orientation, or ce n’est pas démontré. » Qu’adviendrait-il si cette démonstration tournait à l’avantage de l’exécutif ? Nul ne veut encore l’envisager publiquement. Mais, dans les propos des députés engagés dans ce que Laurent Baumel appelle un « mouvement d’émancipation parlementaire » plutôt qu’une fronde – l’abstention « pour le moment », la rupture étant « prématurée » –, on sent bien que toute perspective de scission n’est pas exclue. Dans les réunions internes, ce « plan B » commence doucement à être évoqué. Début septembre, dans un entretien au Parisien, Henri Emmanuelli avait tiré la sonnette d’alarme : « Si la tentative de passage en force des sociaux-libéraux s’appuyant sur l’exécutif contre le parti continue, alors oui, le PS risque d’éclater. » Ce week-end, le député des Landes, élu depuis 1978, ne disait toujours pas qu’il en serait, mais : « Pour moi, le PS n’a jamais été la fin. C’est un outil, un moyen, et je ne sacrifie pas la fin au moyen. » Une profession de foi que Marie-Noëlle Lienemann a souhaité voir partagée par les militants socialistes.
Pour conjurer ce scénario noir, chacun appelle au « rassemblement le plus large possible » et au dépassement des « chapelles passées et actuelles ». « Nous voulons rassembler tous ceux qui sont en désaccord avec la ligne du gouvernement qu’on appelle social-libérale, mais qui en réalité est tout simplement libérale », explique Henri Emmanuelli. Un pari qui n’est pas gagné d’avance. Dans le passé, hormis lors du congrès de Reims en 2008, la logique des ambitions et des positionnements a souvent dispersé la gauche du PS en deux motions concurrentes, au moins. Le week-end dernier, les courants opposés à la ligne gouvernementale faisaient leur rentrée séparément. Au Vieux-Boucau, à Bierville et à Laudun-l’Ardoise (Gard), où Arnaud Montebourg et ses amis avaient été invités par le député Patrice Prat. Une dispersion regrettée par nombre de militants. « Dommage que les Landes et l’Essonne ne soient pas limitrophes », plaisantait sur Twitter Olivier Thomas, conseiller régional et maire de Marcoussis (Essonne). Soucieux de couper court aux critiques, les animateurs d’Un monde d’avance et ceux de Maintenant la gauche se sont invités mutuellement. Ils sont engagés ensemble depuis La Rochelle dans le collectif Vive la gauche, lancé par les députés contestataires ( Politis n° 1317), avec des militants de Nouvelle Voie socialiste, le courant issu de la motion présentée au congrès de Toulouse par Stéphane Hessel et Pierre Larrouturou. Ils ont expliqué cette concurrence par des engagements de location anciens et ont promis que cela ne se reproduirait plus. « L’année prochaine, ça se passera à la même date, […] sans doute au même endroit [dans les Landes, NDLR], en tout cas je le souhaite », a ainsi lancé Benoît Hamon.
Les responsables d’Un monde d’avance ne doutent pas en effet que le rassemblement se fera autour d’eux. Ils notent qu’ « il n’y a pas grand monde chez Montebourg », et sont persuadés que Maintenant la gauche, qui ne compte que deux parlementaires au Sénat et à Strasbourg quand eux en revendiquent une vingtaine, se rangera le moment venu. L’un et l’autre ont déjà en commun de cultiver de bonnes relations avec les formations de gauche absentes du gouvernement. Une manière de montrer, à l’approche du congrès, que « ce qui divise la gauche aujourd’hui, c’est la politique du gouvernement » (Guillaume Balas). Et que le gouvernement en se privant d’alliés poursuit « une stratégie suicidaire » puisque « personne à droite et même au centre ne va venir au secours du soldat Hollande ou du soldat Valls » (Marie-Noëlle Lienemann). Samedi, Maintenant la gauche avait invité des partenaires écolos (Emmanuelle Cosse et Eva Sas) et du Front de gauche (Pierre Laurent du PCF, Raquel Garrido du Parti de gauche et Christian Picquet de Gauche unitaire). Dimanche, Un monde d’avance affichait dans la bonne humeur sa proximité avec les seuls Cécile Duflot et Pierre Laurent. Une affiche plus conforme à l’image que veut donner Benoît Hamon. « On peut exprimer de la radicalité mais surtout pas de sectarisme » et « avec le sourire », a déclaré l’ancien ministre. Il refuse d’ « accabler globalement le gouvernement » et ne se considère « pas dans l’opposition ». « Si nous voulons le rassemblement demain, il ne faut pas dire que le gouvernement est de droite, sinon ceux qui le soutiennent ne nous soutiendront pas. » Une ligne de conduite qui vaut dans le PS, mais qui reste à vérifier auprès des électeurs.