La violence des spots anti-tabac mise en cause

Pour lutter contre le tabagisme, l’Inpes a choisi de mettre en scène la fin de vie de cancéreux. Jouant sur la peur et la culpabilisation. Une campagne qui fait débat.

Lou-Eve Popper  • 9 octobre 2014 abonné·es
La violence des spots anti-tabac mise en cause
© Photo : Sigrid Olsson / AFP

Vous les avez probablement entendus en allumant la radio, en regardant la télévision ou dans une salle de cinéma. Ces deux clips de la campagne anti-tabac menée par le ministère de la Santé et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) nous transportent dans une salle d’hôpital. On y entend les voix off d’une femme et d’un homme, atteints d’un cancer, faisant leurs adieux à leurs proches. Pour Patrick Lamour, médecin généraliste de santé publique, il s’agit avant tout d’une «   prévention malveillante », et le reflet d’un choix politique d’inspiration libérale. Celui qu’a fait le gouvernement de culpabiliser avant tout les fumeurs plutôt que de dénoncer l’influence de l’industrie du tabac. Par ailleurs, Patrick Lamour estime qu’en jouant sur une mise en scène violente cette campagne anti-tabac est à la fois inefficace et engendre de la souffrance. Le médecin vient, avec le Collectif des professionnels de la santé et du social contre une prévention malveillante, de lancer une pétition qui réclame «   le retrait immédiat de ces deux spots des télévisions, des radios et des autres supports médiatiques concernés afin de ne pas ajouter de la souffrance à la souffrance ! »  [^2].

La pétition pose la question de la responsabilité, qui, dans une société libérale, est systématiquement imputée à l’individu. En effet, la priorité dans cette campagne anti-tabac n’est pas de pointer la culpabilité de l’industrie du tabac, mais de rendre responsables les fumeurs atteints d’un cancer. Selon la pétition, l’industrie du tabac «   engrange 426 milliards de dollars de bénéfices par an dans le monde, mais refuse de payer les 7 milliards qu’elle doit tous les ans à la Sécurité sociale   ». Une industrie qui fait preuve de «   harcèlement publicitaire », selon la pétition, notamment à l’égard des jeunes, susceptibles de commencer à fumer tôt, et de rester fumeurs plus longtemps. Par ailleurs, l’enquête de « Cash investigation », diffusée sur France 2 le mardi 7 octobre, révèle l’influence des géants du tabac sur la Commission et le Parlement au sein de l’Union européenne. Des eurodéputés UMP ont ainsi reçu des lobbyistes de l’industrie, dont ils ont repris les amendements destinés à affaiblir la directive européenne contre le tabac. En outre, le documentaire montre que la Commission européenne recevrait ainsi plusieurs dizaines de millions d’euros par an en échange d’accords contractuels, passés notamment avec Philip Morris. Malgré tout, les spots de la campagne soutiennent surtout l’hypothèse du choix : celui de commencer et d’arrêter de fumer. Il faut aussi signaler la décision, raisonnable, de l’Inpes de compléter les deux clips par une infographie animée, qui prend le temps cette fois de mettre en cause l’industrie du tabac.

Le collectif a également choisi de dénoncer la campagne pour son inefficacité. Pour qu’un spot préventif fonctionne, explique Patrick Lamour, deux volets sont indispensables : « Il faut croire au risque potentiel que l’on court et se sentir capable de prendre les mesures préventives nécessaires. » Or, ces deux volets ne sont pas présents dans ces spots. En effet, les fumeurs savent qu’ils risquent un cancer, en revanche, très peu d’entre eux se croient capables d’arrêter en appelant le numéro vert. Après la détresse et l’angoisse suscitées par le visionnage du spot, cette aide apparaît en effet dérisoire. Ainsi, pas d’électrochoc pour les fumeurs. Et c’est là l’effet pervers de ces campagnes : la culpabilité ne suscite pas une action en vue d’arrêter de fumer, elle vient simplement s’ajouter à l’addiction. Contactés, l’Inpes et le ministère de la Santé n’ont pas voulu répondre à nos questions, chacun laissant à l’autre la responsabilité de commenter cette campagne. On peut y déceler l’existence d’un malaise politique quant à la teneur de cette campagne, qu’aujourd’hui personne ne semble vouloir défendre. Une des patientes de Patrick Lamour est venue le voir un jour, lui racontant qu’elle ne dormait plus depuis trois mois. Son cardiologue lui avait prédit que si elle ne perdait pas 20 kilos, et n’arrêtait pas de fumer, elle risquait de mourir. Ici, souligne-t-il, «   c’est une erreur de communication d’un médecin à l’égard d’une patiente, mais pour la campagne,   c’est à l’initiative du ministère de la Santé et ça va toucher des millions de Français   ».

[^2]: Voir sur le site Change.org

Société Santé
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

La journaliste Ariane Lavrilleux échappe à une mise en examen
Presse 16 janvier 2025

La journaliste Ariane Lavrilleux échappe à une mise en examen

Ce 17 janvier, l’investigatrice, convoquée au tribunal de Paris, a finalement évité des poursuites pour avoir révélé des secrets de la défense nationale. 110 organisations appellent à un renforcement du secret des sources pour la presse.
Par Maxime Sirvins
L’État visé par des actions en justice pour la contamination de l’eau au CVM
Santé 16 janvier 2025 abonné·es

L’État visé par des actions en justice pour la contamination de l’eau au CVM

Plusieurs centaines de milliers de Français seraient exposés à la pollution des canalisations d’eau au chlorure de vinyle monomère (CVM), classé cancérogène. Les citoyens se mobilisent face à l’inertie des pouvoirs publics et lancent des actions en justice pour demander réparation.
Par Vanina Delmas
Eau contaminée au CVM : « L’État a atténué la gravité du scandale sanitaire »
Eau 16 janvier 2025 abonné·es

Eau contaminée au CVM : « L’État a atténué la gravité du scandale sanitaire »

Le chercheur Gaspard Lemaire a enquêté sur la présence de chlorure de vinyle monomère (CVM), un gaz cancérogène, dans les réseaux d’eau en France. Il dévoile l’opacité autour de cette pollution et la passivité des pouvoirs publics français pour y remédier. Entretien.
Par Vanina Delmas
RSA sous conditions : une généralisation et des craintes
Enquête 15 janvier 2025 abonné·es

RSA sous conditions : une généralisation et des craintes

Depuis le 1er janvier, l’obtention du Revenu de solidarité active est liée à la réalisation de 15 heures d’activité hebdomadaires. Une réforme jugée absurde, aux contours encore flous, sans moyens, qui inquiète largement syndicats et associations.
Par Pierre Jequier-Zalc