« Le Monde » refuse la division
Face à la mobilisation de tous les personnels, la direction du quotidien recule
dans son projet de filialisation des non-journalistes. Les syndicats restent vigilants.
dans l’hebdo N° 1322 Acheter ce numéro
La direction ne s’attendait sans doute pas à une telle réaction. Vendredi 26 septembre, la sortie du Monde (et de son magazine) était bloquée, et son site interrompu. La raison : le refus du projet de filialisation qui entend sortir de la Société éditrice du Monde (SEM), du Monde interactif (MIA) et de VM Magazines ( Télérama, la Vie ) tous les métiers non journalistiques. Ouvriers, employés, cadres. Un projet prévu pour début 2015 qui renverrait ces salariés dans une entité différente, une société « low cost », selon les syndicats, avec le risque de voir certains avantages supprimés, des salaires baissés… Cela représente environ trois cents personnes (180 à la SEM, 28 au MIA et 95 à VM Magazines).
À la mobilisation des salariés concernés s’est ajouté le soutien de l’intersyndicale des journalistes (CFDT, CGT, SNJ), soulignant combien ce projet de filialisation signifie « pour ces collègues une remise en cause des conventions collectives de la presse, de leurs droits de salariés, de tout ce qui fait leur attachement à notre maison commune ». Mais surtout, précisait l’intersyndicale, en excluant les personnels administratifs et techniques, ce projet « remet en cause notre histoire, nos liens particuliers interprofessionnels, tous métiers confondus, que nous avons tant bien que mal préservés depuis la rue des Italiens ». L’enjeu n’est donc pas ponctuel. Il est historique. Non sans perspective d’avenir : réduits à quelque 400 personnes, « quel sera notre rapport de force dans nos instances représentatives ? », se sont interrogés les journalistes. « Comment penser que la logique d’économies que met en place la direction, poussée par les actionnaires, va s’arrêter aux seuls non-journalistes ? Dans quelques mois, nous serons à notre tour trop coûteux, trop nombreux. » Les syndicats avaient prévenu : pas de négociation sans retrait du projet au préalable. Une pétition contre cette filialisation adressée quelques jours plus tôt pouvait donner le ton en rassemblant 450 signatures, bien au-delà donc du nombre de salariés concernés par le projet, comprenant ainsi quasiment un tiers de journalistes. Jeudi 2 octobre, une semaine après un premier camouflet, la direction organisait une nouvelle table ronde, « en ayant bien compris combien tout le monde est vent debout, et solidaire », observe Sylvia Zappi, déléguée CFDT au quotidien. La direction est donc revenue avec d’autres intentions : le maintien des salariés non journalistes dans la même convention collective et une harmonisation des statuts. « Cela va probablement se solder par la perte de quelques jours de RTT pour certains, juge Sylvia Zappi, comme cela s’est passé pour les journalistes, et par plusieurs départs volontaires proposés au personnel en fin de carrière, de sorte à réaliser un certain nombre d’économies sans tout foutre en l’air. » Au programme à venir, un cycle de concertations pour harmoniser les statuts entre la SEM, le MIA et VM Magazines, et pour favoriser des départs dans les meilleures conditions. Cela pourrait toucher une quarantaine de personnes. « Nous sommes plutôt contents d’avoir fait reculer la direction, estime Sylvia Zappi. Mais il faut maintenir le rapport de force. Nous devrons freiner la direction dans ses ardeurs à vouloir faire des économies ! »
Méfiance, donc. « Certes, on a fait la démonstration de ce que pouvaient accomplir les administratifs, jusqu’à bloquer le site Internet », précise Isabelle Bonin, assistante à la direction des ventes, déléguée CGT, « mais le gros morceau reste maintenant l’harmonisation des statuts, avec le risque que cela se fasse à la baisse, principalement pour les nouveaux entrants. Pour nous, ce sera hors de question. La date clé est 2016, celle du déménagement dans d’autres locaux, qui est une autre occasion de faire des économies, et du renouvellement de nombre d’élus au comité du personnel. Les plus âgés, qui connaissent l’histoire du journal, seront partis, notamment avec le plan de départs volontaires. Les plus jeunes seront peut-être plus malléables ». De fait, la clé reste la solidarité de tous les personnels.