Manif’ pour tous : Drapeaux roses et bleus sur écrans géants
Avec sa mise en scène bien rodée, la Manif’ pour tous est redescendue dans la rue, dimanche.
Ils étaient 70 000 selon la police , 500 000 selon les organisateurs, à défiler dans la rue armés de drapeaux roses et bleus, ce dimanche. Près d’un an et demi après la célébration des premiers mariages homos, la Manif’ pour tous s’empare toujours de l’actualité, variant ses slogans au gré de celle-ci. Mais si les mots d’ordres du jour étaient la lutte contre la PMA, la GPA et la prétendue «idéologie du genre» , le slogan «Un papa + une maman» semble indétrônable dans l’esprit des manifestants.
Pour Marie-Amélie, ça ne fait aucun doute, un jour, ils obtiendront l’abrogation de la loi Taubira, ou au moins de l’adoption, cette «destruction de la famille» . Pour elle, l’homoparentalité sera toujours un problème. Tout en essayant de cadrer ses enfants galvanisés par l’ambiance, elle explique : «La famille apporte des repères aux enfants, des repères qui existent pour le bonheur de tous. Pour se développer, un enfant a besoin d’un papa et d’une maman, parce que l’homme et la femme sont complémentaires. Par exemple moi, je réagis souvent avec mes tripes, mes sentiments. Tandis que mon mari a un esprit rationnel masculin.»
Une «complémentarité» , et une «stabilité» qui ne peuvent être offertes à l’enfant par deux parents du même sexe, selon elle. «Je ne doute pas qu’il puisse y avoir un sentiment d’amour entre deux homos, mais je ne crois pas que ça marche sur le long terme, passée les premières passions. C’est stérile, dans tous les sens du terme, et je pense qu’à terme, ça ne les rend pas heureux. D’ailleurs, il me semble avoir lu quelque part qu’il y avait beaucoup de dépressions dans les couples homos.»
Mais qu’on n’interprète pas leurs paroles à tort. Chaque manifestant le certifie, il n’y a pas, dans leurs rangs, d’homophobie. «J’ai de très bons amis homos» , assure Philippe. Tandis que d’autres se disent «pas gênés par l’homosexualité, tant qu’il n’y a pas de filiation» . Plantée au milieu du boulevard, Marie impose à leurs regards sa pancarte «Attention Lesbienne» , fabriquée en un coup de crayon. «Je n’avais pas prévue de venir , dit-elle, mais je travaille juste à côté et cette manifestation me met terriblement en colère. Ces gens sont avant tout des intolérants.» Elle défie du regard les manifestants qui parfois l’évitent, parfois l’ignorent. Certains se penchent vers elle pour murmurer : «Ce n’est pas grave vous savez ?»
Du Pacs à la GPA
Dans la foule rose et bleue , rares sont les pancartes artisanales. Les manifestants agitent pour la plupart et drapeaux et panneaux produits en masse par la Manif’ pour tous, où les vieux slogans sur l’adoption ont laissé la place à de virulentes mises en garde contre la PMA et la GPA. Les revendications des manifestants ont-elles évoluées ? A les entendre, pas du tout.
Marie-Hélène et Marie, la soixantaine, manifestent ce dimanche contre la GPA, tout comme elles défilaient contre le mariage homosexuel en janvier 2013, ou le Pacs en 1998. Car pour elles, tout est lié. «Derrière le mariage, il y a beaucoup d’autres choses, expliquent-elles, c’est la porte ouverte à la GPA et à la marchandisation du corps. Depuis le Pacs on sent venir cette destruction de la famille, de la base de la société, qui mène à une marchandisation des corps, à une modification de l’être vivant. Le mariage homosexuel induit tout ça.»
Derrière le mariage homosexuel se cachent toutes les peurs des manifestants, et le sentiment d’une nécessité de «défendre notre société» d’un déclin ou d’une perversion, selon les versions. «Les gens ont du mal à comprendre pourquoi on manifeste alors que la loi Taubira ne change pas nos quotidiens personnels, souligne Thomas Minaget, élu non-encarté d’une agglomération du Loir-et-cher, Mais c’est pour la société que nous manifestons.»
Un « changement de civilisation »
La société est «en danger» , l’idée est relayée par les têtes de la Manif’ pour tous, à grand renfort de musiques guerrières et de mises en scène léchées. C’est un véritable «changement de civilisation» qui est à l’œuvre, selon les mots de Tugdual Derville.
Juché sur la grande scène, installée à deux pas de la tour Montparnasse, le directeur d’Alliance Vita, une des composantes de la Manif’ pour tous harangue la foule, son image directement retransmise sur les écrans géants disposés le long du boulevard Montparnasse. A chaque clameur, une caméra balaye la foule nombreuse qui se presse contre la scène. Un à un, les différents responsables de la Manif’ pour tous montent sur scène. Il s’agit de faire durer cette manifestation, de maintenir la foule compacte. Ils ont investi pour cela.
Entre deux interventions, les écrans diffusent des appels à rejoindre le réseau de volontaires avec des publicités bienveillantes : «Une expérience humaine, un esprit d’équipe !» Alors que les discours s’épuisent, ils sont remplacés par de courtes vidéos de Najat Vallaud-Belkacem, entrecoupées de mises en garde contre «l’idéologie du genre» .
La GPA, un «projet rampant»
Car le discours des organisateurs est très clair. Ce «changement de civilisation» est orchestré par le gouvernement. «On nous avait promis le Pacs mais jamais le mariage, rappelle Albéric Dumont, coordinateur général du mouvement, On nous avait dit le mariage mais pas l’adoption. Puis on nous a dit le mariage et l’adoption mais pas la PMA et la GPA. Après s’être faits gazés par Manuel Valls, allons-nous nous laisser enfumer ?»
Le premier ministre aura beau nier toute légalisation de la GPA en France, les manifestants n’en démordent pas. C’est un «projet rampant» , une «manipulation politique» de la part d’un gouvernement qui «n’écoute pas» .
Côme et Vianney, 17 et 15 ans, sont passés de la Manif’ pour tous au Printemps français (frange plus radicale du mouvement, NDLR) justement pour cela. «Sans écoute du gouvernement, on ne peut pas continuer à manifester pacifiquement. Aujourd’hui, c’est calme. Mais s’ils ne nous entendent pas, nous ferons une démonstration de force.»
Reste que malgré toute son organisation, la Manif’ pour tous n’a pas rassemblé plus de manifestants qu’en février dernier. Et le compte est bien loin du million qu’ils avaient assuré rassembler en mars et mai 2013 (les chiffres de la préfecture étaient alors de 300 000 et 150 000 personnes).
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