Valls choisit d’être dur avec les faibles

Au moment où l’exécutif recule sur le dispositif écotaxe, l’évocation d’un probable durcissement des règles d’indemnisation du chômage est politiquement ravageur.

Michel Soudais  • 16 octobre 2014 abonné·es
Valls choisit d’être dur avec les faibles
© Photo : AFP PHOTO/ ALAIN JOCARD

La réforme de l’assurance chômage n’est pas d’actualité mais… elle se fera. D’ailleurs le gouvernement l’a programmée. Quand ? C’est toute la question. Ainsi pourrait-on résumer une semaine de déclarations, initiée par Manuel Valls à Londres et close par Emmanuel Macron à Bercy. Alors que débute au Parlement un long marathon budgétaire, sous la menace d’une censure de la Commission européenne, le gouvernement semble bien lancé dans une course effrénée aux réformes de structure, essentiellement dictée par la recherche d’économies.

Lundi 6 octobre, le Premier ministre, en pleine opération de séduction de la City, déclare devant son homologue britannique, David Cameron, qu’ « il faudrait aller plus loin » que l’assouplissement des 35 heures. Il oppose également aux vertus du « temps partiel », encouragé en Grande-Bretagne et en Allemagne, où il a permis, selon lui,  « de préserver l’emploi et de repartir de manière plus forte quand la croissance est revenue », le choix français « d’un chômage très important et très bien indemnisé ». Lors d’un déjeuner avec des journalistes britanniques, il confirme vouloir davantage « inciter au retour à l’emploi ». Pour cela, confie-t-il, la question de l’assurance chômage « doit être reposée », tant sur le plan du montant de l’indemnisation que de sa durée. Le lendemain, Jean-Marie Le Guen confirme sur la chaîne Public Sénat que le système actuel peut constituer un frein à la reprise du travail. Des gens « ont un certain niveau de rémunération de substitution pour lequel ils peuvent se dire légitimement : “Dans le système actuel, je peux attendre six mois un an avant de rechercher un travail” », explique le secrétaire d’État en charge des Relations avec le Parlement.

Après les prises de distance de Jean-Christophe Cambadelis, pour qui cette réforme « n’est à l’ordre du jour ni du gouvernement ni de l’Assemblée », ou de Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre, interrogé dans l’hémicycle par l’UMP Thierry Mariani, maintient que « la question de l’efficacité et de l’équité des règles » de l’assurance chômage « est un débat légitime ». Que les partenaires sociaux auront à se poser à nouveau lors de la prochaine renégociation de la convention actuelle, « au plus tard en 2016 ». De Milan, où il participe à un sommet sur l’emploi, François Hollande fait mine de recadrer son Premier ministre : « Il y a suffisamment de sujets pour que nous soyons bien occupés et que nous montrions que nous faisons des réformes utiles à l’emploi. » Sans toutefois éteindre le tollé que suscitent au sein même du PS les propos de Manuel Valls. « Le Premier ministre est en retard d’un métro. Ces fausses pistes libérales n’ont jamais rien réglé », tempête Marie-Noëlle Lienemann. « Ce débat est une des vieilles lunes du Medef… Je trouve indécent qu’on la remette au goût du jour », renchérit le député Jean-Marc Germain. « Face à certaines propositions surprenantes du gouvernement, le silence du PS est assourdissant », déplore Henri Emmanuelli dans Sud Ouest (9 octobre). Un silence que la sortie d’Emmanuel Macron, qui a fait l’effet d’une bombe auprès des responsables socialistes réunis en conseil national, n’est pas parvenu à rompre.

En réponse au ministre de l’Économie, qui déclarait dans le Journal du dimanche qu’il ne devrait « pas y avoir de tabou, ni de posture » sur l’assurance chômage, que la réforme était « insuffisante » et qu’ « on ne pourra pas en rester là », le premier secrétaire du PS s’est essentiellement contenté de rappeler ce dernier à ses devoirs : « Quand le président de la République s’exprime, les ministres appliquent. » Beaucoup plus tranché, Emmanuel Maurel, animateur du courant de gauche du PS, a déclaré à la tribune : « En ce qui me concerne, je dis que cette politique ne peut être menée en notre nom. » Jean-Christophe Cambadélis, Bruno Le Roux comme Claude Bartolone critiquent moins le fond des propos d’Emmanuel Macron que la manière ou le timing. « Avant que l’État prenne ses responsabilités, il faudra que les partenaires sociaux aient discuté », a ainsi déclaré le président du groupe des députés socialistes. Non sans préciser, avec un brin de cynisme, que le gouvernement et les parlementaires seraient « avisés de laisser l’initiative aux partenaires sociaux ». Car ce boulot, il faudra bien le faire, a laissé entendre le secrétaire d’État au Budget. Sur RTL, dimanche, Christian Eckert a rappelé la nécessité de « réduire  [le]  déficit chronique de l’assurance chômage », qui est de 4 milliards d’euros : « Aux partenaires sociaux de décider si c’est en jouant sur la durée, sur le niveau, sur les moyens mis pour le retour à l’emploi. » L’objectif leur est même déjà fixé dans le document de présentation du projet de loi de finances 2015. Il décrit ainsi « les efforts nécessaires au redressement de la situation financière des régimes paritaires »  : « Les économies réalisées par l’Unedic dans la convention de 2014 seront complétées à partir de 2016 pour atteindre un effort total de 2 milliards d’euros. »

En lançant ce « ballon d’essai idéologique », Manuel Valls et Emmanuel Macron ont pu être guidés l’un et l’autre par une stratégie d’image personnelle qui les pousse à paraître toujours plus « modernes », donc libéraux, comme le suggèrent certains socialistes. Mais il est au moins aussi patent qu’ils cherchent à amadouer l’Union européenne en accélérant les réformes structurelles. Celle du marché du travail, constamment exigée par Bruxelles, en est une. Et, en l’espèce, plus la gauche et les syndicats y seront hostiles, plus la Commission européenne sera satisfaite de « l’effort » consenti. On n’a pas entendu en revanche ladite Commission s’alarmer de l’abandon sine die du dispositif écotaxe. Annoncé jeudi dernier par Ségolène Royal, en plein débat parlementaire sur la loi de transition énergétique, cet abandon donne gain de cause aux routiers et aux chargeurs. Lesquels s’étaient contentés de menacer de paralyser le pays au détriment des ménages et du secteur des travaux publics. Une capitulation qui mécontente les associations écologiques, les responsables EELV et jusqu’à certains socialistes. « L’abandon de l’écotaxe, c’est l’abandon du principe pollueur-payeur », déplore Philippe Martin. Le député du Gers, qui fut le prédécesseur de Ségolène Royal au ministère de l’Écologie, y voit un « recul » et un « très mauvais signal pour l’objectif de transition écologique ». Frédéric Cuvillier, ex-ministre aux Transports, rappelle, lui, que « l’écotaxe était une solution pour un prix de transport réel sans faire peser l’utilisation des infrastructures par les contribuables ». Outre le manque à gagner pour le budget de l’État, ce recul, annoncé au moment où le Premier ministre relance le débat sur l’assurance chômage, accrédite un peu plus l’image d’un pouvoir faible avec les forts, mais dur avec les faibles.

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