Carole Bellaiche, « la Collectionneuse » : Intimes intérieurs

Saisissant les éléments ou les détails de quelques appartements, Carole Bellaïche propose une réflexion sur l’instantanéité et le souvenir. Un délice.

Jean-Claude Renard  • 13 novembre 2014 abonné·es
Carole Bellaiche, « la Collectionneuse » : Intimes intérieurs
© **« La Collectionneuse »** , Carole Bellaïche : galerie Basia Embiricos, 14, rue des Jardins-Saint-Paul, Paris IVe, jusqu’au 26 novembre. Photo : "Le déménagement", Carole Bellaïche

Fixer le temps. La mince affaire. Fixer le temps, en photographie, quand le support et l’exercice se prêtent allègrement à l’instantanéité, l’éphémère, à tout ce qui ressortirait du fugitif, va, vient, vogue, courtise le hasard, heureux ou malheureux, docile ou retors, complice ou collabo, flirte à coups de bribes avec ses sujets avant de décaniller. Fixer le temps, c’est peut-être l’objectif (et c’est le cas de l’écrire) de Carole Bellaïche, dans cette exposition. Dans la position d’une collectionneuse, à la manière d’Éric Rohmer. Collectionneuse d’intérieurs, des intérieurs fouillant l’intimité, sans déranger. Question d’arithmétique, avec ses soustractions et/ou ses additions, selon les cadres, le sujet, les objets. Tout ce qu’on attrape dans une maison, un appartement, par petit bout, parfois le bout de la lorgnette, d’une lucarne ou celui d’un œil-de-bœuf.

Au tirage argentique de Carole Bellaïche, cela donne ça : la photographie défraîchie (forcément défraîchie) d’un jeune couple de mariés, au mur d’une chambre tapissée de fleurs, au-dessus d’un lit. Un autre mur, boursouflé d’humidité, au revêtement éclaté, dominant des lambris, ceinturant eux-mêmes un lit à peine refait. Dans une autre pièce, sous une lumière qui tombe sur un empilement à la diable, des lampes s’accumulent. Au mur, on perçoit les traces d’un cadre, signifiant un départ imminent. Pas bien loin peut-être, un costume est suspendu sur son cintre, surmonté d’une couronne des rois. La fève est sans doute calée au creux d’une poche, dans cette séquence ironique. Puis un autre lit encore, qui semble engoncé dans un cabinet de toilettes. Façon nid, dans lequel on s’enfonce. Ou encore un oreiller qui paraît rapporté d’un autre lit, déposé à la va-vite, ou à la va-comme-j’te-pousse. Toujours ailleurs, l’objectif s’est concentré sur un radiateur. C’est bien le seul à réchauffer une image froide. Tout se passe comme s’il s’agissait d’effacer les traces et les artifices, passer à autre chose. Pour le coup, il ne se passe rien.

C’est exactement ça, « la Collectionneuse », en une quarantaine d’images, sobres, épurées. Fixant le temps. Et ce qu’il en reste. Du pas grand-chose et des pleins paquets. Des années 1990 à aujourd’hui, la photographe a croqué des intérieurs, et ses bribes de vie. D’abord à Paris, rue de Saintonge, rue de Nice, rue Mazarine, rue Blanche, place des Vosges, puis à Maisons-Laffitte encore, ou Ville-d’Avray, et principalement à « Beaumarchais », de nouveau en capitale. Un appartement familial, au fil du temps déshabillé, quand ses objets filent en partance, on ne sait où. Mais, in fine, d’un intérieur l’autre, dans ces lieux de passages, fragiles, comme s’il fallait les rattraper, « sauver les meubles », ce sont autant de traces humaines, de personnalités, d’empreintes qui sont saisies. Fébrilement. En témoigne encore ce miroir dans lequel se reflète la lumière d’une fenêtre, qui n’attendrait peut-être qu’un invité de plus en chair, ou cette armoire rehaussée de porte-manteaux, à la manière des gargouilles de Notre-Dame, ou encore cette cafetière, fameuse moka en acier, modèle italien… Au-delà d’un concentré conceptuel, elle rend compte d’une marotte : fixer des moments, des rencontres, sans les désigner, sans rien exagérer et les fourrer dans l’objectif. Affaire de souvenirs, qui tiennent à rien, qu’on mettrait en boîte, par grappes, comme celles qui se superposent, au-dessus d’une cheminée : un pêle-mêle de cartons additionnant des boîtes de chaussures ordinaires. Presque toutes feraient récit.

Culture
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