Ce que peut la culture
Une scène anodine, dans Jimmy’s Hall , qui nous dit ce que peut et ne peut pas la culture…
dans l’hebdo N° 1327 Acheter ce numéro
C’est une scène anodine, alors que le héros, Jimmy Gralton, est en train de se faire arrêter par les gendarmes du comté. Elle peut, de ce fait, passer inaperçue, car le spectateur a alors l’attention captée par l’action principale. C’est un des plaisirs que permet le DVD : pouvoir s’arrêter sur une scène particulière. Cela tombe bien : France Télévisions distribution fait paraître ces jours-ci le DVD de Jimmy’s Hall, de Ken Loach. En voici l’intrigue : dix ans après la guerre d’indépendance irlandaise, dont les plaies sont à peine cicatrisées, Jimmy Gralton revient des Etats-Unis, où il était exilé. De retour dans la ferme de sa vieille mère, Jimmy est amené par la jeune génération à rouvrir la salle où la population, jadis, venait danser et se cultiver. Déclenchant ainsi la rage des possédants et du prêtre du coin qui, dix ans plus tôt, étaient déjà du mauvais côté : celui des Anglais.
Je reviens à la scène « anodine » sur laquelle je m’arrête ici. Une cohorte de gendarmes investissent la ferme de la mère de Jimmy, en état d’arrestation. Mais la vieille femme leur propose d’abord de prendre le thé pendant que son fils monte à l’étage pour se munir de quelques effets – en réalité, il prend la poudre d’escampette. En leur servant le thé, elle leur rappelle que lorsqu’ils étaient écoliers, elle leur apportait des livres. « L’Île aux trésors était mon préféré », dit l’un des gendarmes. Et la séquence passe à autre chose. Que dit pertinemment cette scène ? Que la lecture de grandes œuvres n’a pas suffi à ce que ces hommes ne choisissent de servir l’oppression. Que la culture ne peut, à elle seule, rendre meilleur et plus lucide, tracer une perspective où la justice serait pour chacun le maître mot. Bref, ouvrir sur un avenir plus humain. Il y faut aussi des conditions matérielles, une biographie particulière. Jimmy’s Hall est certainement un film humaniste. Mais il ne l’est pas à la manière bêlante de ceux qui confondent culture et magie.
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