CFDT : la stratégie de l’immobilisme ?
La fédération célèbre son cinquantième anniversaire dans une atmosphère très attentiste. Malgré ses doutes sur l’attitude du gouvernement, elle ne dévie pas de sa ligne réformiste.
dans l’hebdo N° 1326 Acheter ce numéro
Pas de dossier de presse ni de communiqué pour annoncer la célébration du cinquantième anniversaire de la Confédération française démocratique du travail. Pourtant, l’événement était célébré mercredi 5 novembre à la Maison de la mutualité, dans le Ve arrondissement de Paris. Tables rondes, petits fours et quelques invités de marque, dont Manuel Valls, qui met à rude épreuve le dialogue social et « désarçonne » le syndicat réformiste, selon Laurent Berger, secrétaire général.
Désarçonné, peut-être, mais pas au point de taper du poing sur la table. La CFDT a signé les accords nationaux interprofessionnels (ANI) les plus controversés sur l’assurance chômage, la formation professionnelle et le pacte de responsabilité. Et ce sans rencontrer d’opposition en son sein, puisque la stratégie du syndicat a été validée massivement, lors du congrès de Marseille de juin dernier, après deux ans de réformes lancées par le gouvernement : « Fondamentalement, assure Cécile Guillaume, sociologue, qui a été chargée d’études au sein de la CFDT [^2], la direction est très légitime et centralisée. Elle ne pourrait pas vivre la crise interne que traverse aujourd’hui la CGT, dont les fédérations disposent d’une autonomie plus forte. » Laurent Berger a certes rejeté le principe d’une nouvelle réforme du marché de l’emploi, en gestation à Bercy, mais la centrale syndicale n’ira pas jusqu’à engager un bras de fer avec Manuel Valls et François Hollande.
« La CFDT est attentiste dans ses relations avec le gouvernement et avec le PS. Elle sait qu’ils sont plutôt technocrates et que le dialogue social n’est pas dans la culture des partis politiques. Le PS a toujours eu beaucoup d’ambivalence vis-à-vis de ce dialogue social, parce qu’il est aussi régalien que la droite », explique Cécile Guillaume. Sur le fond, Laurent Berger n’est pas « choqué » par le discours pro-entreprises du Premier ministre. Ni par celui d’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, notamment sur les seuils sociaux, qui ne sont pas « un sujet tabou ». Le numéro 1 de la CFDT est en revanche monté au créneau contre les mesures annoncées pour faciliter le travail le dimanche. « La confédération n’est qu’en apparence opposée au travail du dimanche », rectifie un militant du syndicat du commerce parisien (SCID-CFDT), l’une des plus importantes formations de la confédération en nombre d’adhérents, mise sous tutelle et administrée par la fédération des services CFDT en raison d’un conflit.
« La confédération nous met des bâtons dans les roues parce que nous sommes précurseurs dans l’interdiction du travail le dimanche. Et cela ne plaît pas. » Ce cédétiste, qui a requis l’anonymat, estime que les « contestataires » à la ligne confédérale « se cachent » et qu’il est « très compliqué de nouer des liens entre syndicats de la CFDT ». « La difficulté que rencontre aujourd’hui la CFDT, et particulièrement la base, c’est que la mise en œuvre du réformisme se réalise dans un contexte économique défavorable, et avec un patronat qui ne joue pas forcément le jeu de la négociation, analyse Cécile Guillaume. De plus, s’ils partagent le projet réformiste, les militants rencontrent un certain nombre de difficultés pratiques. » Dans le cas des accords nationaux comme le pacte de responsabilité, l’incertitude demeure sur la réussite de sa mise en œuvre. Le fameux compte pénibilité, une des mesures phares de la réforme des retraites signée par la CFDT, a par exemple été largement raboté lors de la publication des décrets. Et le patronat, qui rechigne à négocier dans les branches et les entreprises, demande son abrogation.
Certains cédétistes ont tout de même pu s’opposer à leur confédération peu de temps avant la signature, en janvier 2013, de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi par les organisations patronales (Medef, UPA, CGPME) et seulement trois syndicats (CFE-CGC, CFDT, CFTC). Pascal Vially, coordonnateur CFDT de Sanofi et délégué fédéral de la Fédération de la chimie, a même démissionné de ses fonctions. Pourtant très attachées à la culture du dialogue et de la négociation chère à la CFDT, « deux tiers des sections » cédétistes se sont opposées au plan de restructuration annoncé par la direction de Sanofi en 2012 ainsi qu’au futur ANI, précise Pascal Vially. « Je ne retrouvais plus les valeurs démocratiques de la CFDT lors du plan de restructuration et de la signature de l’ANI, qui va dans le sens d’une plus grande souplesse des licenciements économiques », explique pour sa part Éric Pineau, ex-délégué syndical cédétiste sur le site Sanofi de Montpellier, qui a rejoint SUD-Chimie.
Le cas de Sanofi est symptomatique des quelques remous qui agitent la base cédétiste. « Le problème de la CFDT n’est pas le gouvernement, même si la politique économique de François Hollande est critiquable. Sur le terrain, les militants rencontrent des difficultés à faire vivre le dialogue social. Ils ont parfois l’impression de négocier des accords dont le contenu est déjà fixé dans la loi, qui n’apportent aucun progrès supplémentaire aux salariés », relève Cécile Guillaume.
En cause, la crispation autour du pacte de responsabilité entre la confédération et le Medef. À l’origine, il s’agissait de diminuer le poids des cotisations sociales contre des promesses d’embauche. À l’arrivée, de vagues négociations au niveau des branches ont été entamées, indique la CFDT lors d’un bilan d’étape réalisé en septembre au ministère du Travail. Seules 20 branches sur les 50 principales ont ouvert le dossier. Quatre n’ont dressé qu’un état des lieux de leur situation économique et sociale, et 24 n’ont rien fait. Seuls une vingtaine de plans sociaux ont donné lieu à un accord d’entreprise, sur 109 cas traités par l’administration. Quant aux fameux accords de maintien de l’emploi (contre des baisses de salaires), le bilan est encore plus maigre : seuls quatre accords ont été signés. Le gouvernement affiche certes sa préférence pour la ligne réformatrice de la CFDT, tout en affichant un soutien inconditionnel au Medef de Pierre Gattaz. « Or, le patronat français n’est pas prêt à jouer le jeu, constate Cécile Guillaume. Le modèle de syndicalisme qui est en train de se construire, pas seulement avec la CFDT, n’est pas une évidence en France. Il faut une culture de la négociation qui s’instaure côté patronal. » Alors que la CFDT fête son cinquantième anniversaire, le peu de résultats enregistrés sur le terrain pousse la sociologue à se poser des questions : « Le dialogue social est-il viable ? Est-ce que les militants CFDT ne vont pas finir par se lasser ? »
[^2]: Cécile Guillaume a dirigé la CFDT : sociologie d’une conversion réformiste, Presses universitaires de Rennes, 2014.