« Chant furieux », de Philippe Bordas : Dribbleur de mots

Qui sait ce qu’aurait été ce livre comme jamais, au plus grand format qui fût ? Un gigantesque ouvrage photographique tout entier dédié à Zidane. Un livre d’art exigeant « la gouache parfaite », au moment où le capitaine des Bleus s’apprête à tirer sa révérence, en 2006. Projet babylonien. Curieuse commande pour un auteur narrateur photographe, cador du noir et blanc, excellant dans l’ombre, mais qui « foot s’en fout, si tant dolent ». Zizou avait pris sa première retraite quand lui, « le fan zéro », est au Mali, « en défausse d’infos, à mille sables de là », piroguant, gavé de quinine. Le livre ne sortira jamais.

Il n’en reste pas moins le prétexte de Chant furieux, époustouflante brinquebale poétique, brassant large. Qui va de « Zidane de Castellane » (la terre natale marseillaise), taquinant le cuir « dans l’angle mort des bâtiments », au Ziz « environné des bannières JVC et Mastercard », bousculant « l’azimut sur le gazon au mépris de la balistique et de l’humaine gravitation ». D’un Ziz l’autre, une brinquebale racontée auprès d’un frère de phrases et sentences, poète aveugle, fier créole chassant Nerval et Mallarmé dans la cécité, dans un récit convoquant d’autres souvenirs du narrateur, entouré de ses compagnons de bitume de périphérie parisienne, tous corniauds, de la race semblable des freluquets et paltoquets de banlieue, marlous aux origines différentes, asiate, kabyle et limougeaud. Et c’est bien le sujet du livre : foin d’un portrait de Zidane lyrisé, mais plutôt celui de petites racailles pareillement racées, « futals au vent », au jargon de déprave, dribbleurs en syntaxe, seigneurs de gare du Nord. Fringues et coiffures, usages et manies. Taverniers ados au McDo. Bordas exagère les détails, héroïse ses intimes connivences. Le toutim exprimé dans la quintessence des noblesses de langue. Une féerie rageuse, épique, frappant juste.