Des paroles retenues
La Cimade et Jet FM livrent des reportages sonores autour des centres de rétention. Une façon de sortir des statistiques pour incarner des trajectoires particulières.
dans l’hebdo N° 1326 Acheter ce numéro
C’est un jour gris, d’un ciel bas et lourd, dans la périphérie rennaise. Le véhicule de la Cimade, un Berlingo blanc, prend la direction du parc des expositions, où s’additionnent les hangars. Un panneau indique le centre de rétention administrative (CRA). Sur l’ancien bassin d’épuration ont poussé quelques roseaux. Un avion estampillé Air Inter est planté dans le décor, rappelant l’existence d’un aéroport. Le paysage désolé étire ses bâtiments militaires et ses logements en construction. Aux confins de la route, le CRA impose la masse de ses édifices cernés de grillages et de barbelés. Les caravanes de gens du voyage sont garées à côté de son parking. Situation insolite, pesant comme une menace. L’aire de sport est délimitée par une double grille. Des jeux pour enfants, montés sur ressorts, crachent leur solitude. Caméras, miradors et toujours ces grillages sur grillages.
À l’interphone, une voix vous demande d’attendre l’arrivée d’un policier. Le dessin d’une caméra barrée indique que toute image est interdite, sinon soumise aux autorités. Une première lourde porte claque dans le dos. La cour d’accueil mène à une seconde grille. Il faut laisser sa carte d’identité, déposer son sac dans un casier, avant d’entrer dans l’une des deux salles réservées aux visites. Elles sont limitées à 30 minutes, dans un espace froid, glacial, aux murs blancs défraîchis. Ce jour-là, Julie Fillonneau, professeur de français et d’histoire, bénévole de la Cimade, rend visite à Ali. N° 542. C’est son numéro au CRA, qu’il doit rappeler en toutes circonstances. Il vit en France depuis deux ans. Il a tout juste 17 ans et demi et des rêves de son âge. En attendant, retenu, il ne sait pas s’il sera expulsé. Il partage une cellule de 9m2 avec un autre retenu. Ici, « c’est la prison ». Il évite les conflits, les coups, la violence ordinaire. Il mange, il dort. Mais difficile de dormir quand on rumine. La télé égrène ses chaînes d’info en continu, tournant ses images en cage. Ce qui fait mal, c’est d’entendre les six ou huit policiers débarquer à 4 heures du matin dans une chambre pour emmener un autre retenu. « Même les mecs forts, ils pleurent. » Le témoignage d’Ali fait partie des « capsules de rétention », série documentaire radiophonique réalisée par des bénévoles de la Cimade. Ça a débuté comme ça : Julie, Régine, Cyrille, Armelle ou encore Claire ont voulu mettre des mots sur leur expérience de militants dans ce lieu d’enfermement qu’est le centre de rétention de Rennes, où elles donnent de leur temps pour aider des inconnus, les accompagner dans le dédale des démarches administratives. Sur le papier, ce sont des échanges de détails anodins, des silences chargés de doutes, des interrogations surgies entre les phrases. Des indignations aussi, des rêves brisés, des arbitraires, des injustices et la déveine.
Ces témoignages très personnels ont paru sur Terri(s)toires, webzine tourné vers les initiatives citoyennes et l’économie solidaire, en même temps que le projet s’est imposé à la radio, « entre deux portes ! », rapporte Pascal Massiot, rédacteur en chef de Jet FM, station arrosant le bassin nantais. Parce que Maud Steuperaert, responsable régionale de la Cimade sur l’arc atlantique, est régulièrement invitée dans les studios de Jet FM. « L’idée, à travers ce relais sonore, était de sortir des statistiques, poursuit Pascal Massiot. Pour le coup, en radio, le son permet l’incarnation, de pointer des trajectoires particulières dans les questions universelles de l’immigration. » Les militantes sont ainsi venues en studio lire leur texte, sur lequel a été ajouté un habillage sonore : des pas, des sirènes, des bruits de clés, le claquement des portes. « Il ne fallait surtout pas surligner, précise Pascal Massiot, ne pas étouffer ces textes, qui possèdent une réelle unité, portés par un regard sensible, sans pathos ni empathie. » Aujourd’hui, sept « capsules de rétention » ont été enregistrées, diffusées sur le site de Jet FM et de Terri(s)toires, et maintenant sur Politis.fr pour donner plus d’ampleur à l’initiative. À terme, les bénévoles nantais et rennais visent une quinzaine de capsules, et envisagent, pourquoi pas, de créer un livre-CD accompagné de dessins.