États-Unis : Que reste-t-il d’Obama ?
Le Président américain devra terminer son mandat avec une majorité républicaine au Congrès. Un terrible échec personnel. Correspondance à New York, Alexis Buisson.
dans l’hebdo N° 1327 Acheter ce numéro
Barack Obama s’est retrouvé malgré lui, mercredi 5 novembre, dans un rôle qu’il connaît, mais qu’il n’apprécie guère. Au lendemain des élections législatives de mi-mandat, qui ont donné au Parti républicain le contrôle du Congrès, après avoir conquis la majorité au Sénat, le Président américain a rappelé lors d’une conférence de presse l’importance de travailler main dans la main avec ses adversaires, et assurait avoir « entendu » le peuple américain. Il avait tenu à peu près le même discours quatre ans plus tôt, quand les républicains avaient remporté la majorité à la Chambre des représentants, lors des premières élections législatives de son mandat. Même si les observateurs ont noté l’attitude détachée (pour ne pas dire je-m’en-foutiste) du Président, qui s’est permis quelques blagues pendant sa conférence, cette dernière déconvenue électorale est particulièrement importante pour lui et son parti. C’est la première fois depuis 2006 que les républicains se retrouvent majoritaires dans les deux chambres du Congrès, plongeant les États-Unis dans une cohabitation politique dont Obama se serait bien passé alors qu’il aborde les deux dernières années de sa présidence.
Cette défaite aurait-elle pu être évitée ? Certes, les élections de mi-mandat ne sont pas l’élection présidentielle. Ces scrutins, locaux, assortis de tout un tas d’autres votes annexes (parlementaires d’État, gouverneurs, référendums d’initiative populaire) sont boudés par les électeurs. Ainsi, mardi, les deux tiers de l’électorat américain ne sont pas allés voter, ce que Barack Obama n’a pas manqué de souligner pour relativiser les résultats. Des scrutins qui tendent également à mobiliser les électeurs plus âgés, blancs, masculins, qui penchent plutôt côté républicain. Certes, il y a aussi la nature des sièges en jeu au Sénat : 33 dont 6 qui étaient difficilement gagnables pour les démocrates et plusieurs autres qui se trouvaient dans des États-bascules, susceptibles de pencher d’un côté politique comme de l’autre. Assez pour faire changer le sénat démocrate de bord. Mais le recul des démocrates est indissociable de l’action d’Obama lui-même. Après six ans au pouvoir, la flamme s’est éteinte. Plus de la moitié de l’électorat (52 %) désapprouve aujourd’hui son action, soit plus du double par rapport au début de son mandat, en 2009. Il est contesté jusque dans les rangs de son parti, dont certains ténors n’hésitent plus à le critiquer dans la presse. Plus inquiétant, le désintérêt pour la politique aux États-Unis a connu des sommets sous Obama : 19 % des Américains accordent encore leur confiance aux institutions de Washington pour prendre de bonnes décisions. Le « Yes we can » qui résonna jadis à travers l’Amérique un doux soir de novembre 2008 semble bien loin.
La première cassure est intervenue dès 2009. Obama a pris les rênes d’un pays engoncé dans la crise et s’est mis au travail pour faire ce qu’il avait promis : voter une loi permettant à des millions d’Américains d’obtenir une couverture médicale abordable. L’Affordable Care Act (ou « Obamacare ») passe en 2010, dans un climat tendu marqué par la montée en puissance des radicaux du Tea Party. Ils protestaient contre ce qu’ils jugeaient comme une main basse du gouvernement sur la santé. Ce qui devait apparaître comme la réforme phare de Barack Obama s’est retourné contre lui. Le Président n’est pas parvenu à « vendre » sa loi aux Américains, perplexes face à une disposition les obligeant à payer une pénalité s’ils ne souscrivaient pas à l’Obamacare. Certains, même dans le camp démocrate, se sont demandé si le Président n’avait pas fait une faute tactique en voulant faire passer la loi si rapidement. « Il a fait une erreur, estime Chet Whye, un militant de la première heure qui a organisé la campagne présidentielle à New York en 2008 et en 2012. Il a passé trop de temps à parler de la réforme du système de santé, alors que la population voulait du travail. »
Quatre ans après le vote et plusieurs tentatives d’abrogation, la loi continue de plomber les démocrates. Il y a eu sa mise en place catastrophique, minée par un bug informatique. Puis, le coup de grâce : avant l’élection, les Américains apprenaient que les prix d’Obamacare allaient augmenter, notamment dans certains États-clés sur le plan électoral. La sanction a été immédiate : les démocrates qui ont soutenu l’Obamacare au Sénat ont pratiquement tous été battus. En plus de sa politique, Obama est personnellement mis en cause. Il est vu comme un Président cérébral qui, à force de vouloir se mettre au-dessus de la mêlée politique, a laissé les républicains se jouer de lui. Comme l’ont révélé les nombreux bras de fer depuis 2010 entre la Maison Blanche et la Chambre des représentants autour du relèvement du plafond de la dette. À plusieurs reprises, le Parti républicain, majoritaire à la Chambre basse, a utilisé cette mesure, votée tous les ans de manière mécanique, comme un outil de chantage contre le Président pour renégocier certaines politiques. En 2013, une de ces confrontations, émanant d’une demande républicaine de retarder la mise en place de la loi sur l’assurance médicale, a obligé le gouvernement à la fermeture de services publics « non-essentiels ». Cela, pour la première fois en dix-sept ans. Les conséquences de ces confrontations à répétition ont été désastreuses. Obama est apparu à la merci des républicains. Affaibli. Vulnérable. En parallèle, il a fait l’objet d’une contestation grandissante dans son propre parti. Le New York Times a publié, en août, un article rapportant qu’Obama causait des « frustrations » dans les rangs démocrates. Le quotidien a notamment relaté l’étonnement du chef de file des démocrates au Sénat, Harry Reid, quand le Président lui a dit de s’arranger directement avec son homologue républicain Mitch McConnell afin de débloquer certaines de ses nominations d’ambassadeurs auxquelles les républicains s’opposaient. Certains démocrates ont vu dans cet épisode le signe du désintérêt d’Obama pour son parti et pour le Congrès.
Mais Obama est tout de même considéré par certains comme celui qui a sorti l’Amérique de la crise. Le taux de chômage poursuit sa décrue, passant sous la barre symbolique des 6 % en septembre – il était de 7,2 % l’an dernier. Mais il lui reste de nombreux chantiers, comme la réforme du système d’immigration et la question du statut des 11 millions de clandestins sur le sol américain, ainsi que la réduction des gaz à effet de serre. Autant de dossiers sur lesquels il devra composer avec une opposition requinquée. Autre domaine d’affrontement : la nomination de l’Attorney General, l’équivalent de notre ministre de la Justice, Loretta Lynch. Les parlementaires républicains, qui peuvent bloquer de telles nominations, n’ont pas manqué de jouer les trouble-fête. Sur certains sujets, comme l’immigration ou l’environnement, Barack Obama et son administration pourront procéder par ordonnances pour contourner d’éventuels blocages. Le Président pourra aussi user de son droit de veto pour protéger ses réalisations – comme la loi sur l’assurance santé – de possibles détricotages. Ce qui laisse augurer deux années de tensions avant la prochaine présidentielle. « Les partis sont de plus en plus polarisés. Il va y avoir des confrontations fortes en vue de 2016, analyse Thomas E. Mann, expert des questions de gouvernance à la Brookings Institution. Tant que la cohabitation existera, les affrontements continueront, comme dans le passé. »