À un an du sommet de Paris, où pourrait être signé un accord planétaire sur la lutte climatique, les mouvements sociaux et les ONG, en nombre à Lima, veulent se donner les moyens de peser collectivement sur cette échéance, mais aussi sur toutes les politiques contribuant au dérèglement.
Le message d’alarme des organisations de la société civile est encore plus net qu’après l’échec du sommet de Copenhague en 2009…
Maxime Combes : Au sortir de Lima, on ne sait absolument pas où va la lutte climatique. L’ambition s’est dégradée tout au long de la conférence. L’objectif officiel était de préfigurer l’accord de Paris, mais, à la fin, il ne s’agissait que de sauver la face sans humilier le pays hôte par un échec total. Voilà le résultat de quinze jours d’intenses tractations… Lima clôt la courte période d’espérance suscitée par le récent accord signé entre la Chine et les États-Unis pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, que les diplomates du climat avaient perçu comme un tournant dans les négociations internationales [^2]. Cependant, pour qu’il y ait déception profonde, il faudrait qu’il y ait eu de grandes attentes envers ce type de sommet : nous n’en avions pas.
Quelle attitude vos organisations doivent-elles adopter ?
Les réseaux militants préparent au moins deux rendez-vous internationaux importants.
• Les 30 et 31 mai, appel à une mobilisation climatique partout dans le monde, alors que tous les pays devront avoir communiqué le contenu de leur engagement dans la lutte climatique.
• Les 26 et 27 septembre, grand événement Alternatiba en Île-de-France, qu’il est prévu de coupler avec d’autres initiatives dans le monde. La mobilisation Alternatiba, démarrée en octobre 2013, vise à susciter un vaste mouvement citoyen pour peser sur les décideurs du sommet de Paris à la fin 2015. À partir du 5 juin, une caravane cycliste parcourra 5 000 kilomètres sur 180 étapes en France, avec des incursions dans les pays voisins, pour s’achever à Paris le 26 septembre. Plus de 50 villes et territoires ont déjà engagé la réalisation d’événements Alternatiba (www.alternatiba.eu).
La lassitude est forte au sein de la société civile, c’est indéniable. Lors du sommet sur le climat organisé par le secrétaire général de l’ONU, le 23 septembre dernier, 400 000 personnes ont défilé à New York et 600 000 ailleurs dans le monde. À Lima, 20 000 militants sont descendus dans la rue, deux fois plus qu’attendu. Par ailleurs, le niveau d’expertise de nos organisations est devenu très élevé. Dès lors, sur quel levier agir désormais ? C’est devenu la question dominante pour nos organisations. Tout d’abord, dans la perspective de l’échéance de la fin 2015, nous continuerons à nous battre à l’intérieur du processus onusien. Celui-ci est devenu un forum géopolitique où les ambitions climatiques sont soumises aux nouveaux rapports de force entre les pays du Nord et ceux du Sud. Nous dénoncerons un double décalage entre les impératifs de la stabilisation du climat et, d’une part, l’objet réel des discussions, et, d’autre part, les politiques nationales contribuant au dérèglement : accord de libre-échange transatlantique [^3], grands projets inutiles tels que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, permis de recherche sur le gaz de schiste, etc. La feuille de route des mouvements sociaux et des organisations de la société civile a largement évolué. Plus personne n’imagine concentrer tous les efforts sur la teneur des textes négociés dans les conférences climat : nous avons vu, à Copenhague, où a mené notre stratégie consistant à pousser les gouvernements à obtenir un accord « historique ». Soyons pragmatiques : nous ne l’obtiendrons pas à Paris. La lutte climatique ne se limite pas à la réussite éventuelle de ces conférences onusiennes. Pour le mouvement Attac, la lutte se mènera sur deux axes : une pression exercée par une société civile porteuse de solutions pour la justice climatique, comme la mouvance Alternatiba (voir encadré), et une contestation sous forme d’occupation de sites, comme Blockadia, qui s’oppose à l’extraction des hydrocarbures de sables bitumineux au Canada. Les organisations n’en sont pas toutes à ce point. Cependant, toutes sont traversées par des interrogations de nature stratégique, comme nous l’avons constaté à Lima lors de nombreux échanges.
Voyez-vous de nouvelles alliances au sein de la société civile ?
C’est une question à examiner rapidement. En France, tous les mouvements impliqués dans la lutte climatique sont rassemblés, depuis un an, au sein d’une Coalition Climat 21 (COP 21). Nous pourrions assister à des rapprochements avec les regroupements de collectivités locales et territoriales, de plus en plus impliquées, et que la conférence de Lima n’a même pas daigné évoquer. Les scientifiques prennent aussi une part grandissante au débat public, constatant l’absence d’effet entre leurs rapports, de plus en plus pressants, et l’engagement des politiques. Et pourquoi ne pas approcher certaines forces économiques, nombreuses à trouver un intérêt à se dissocier des groupes de pression pro-énergies fossiles, extrêmement actifs à Lima ?
[^2]: Voir Politis n° 1328, du 20 novembre.
[^3]: Tafta, en anglais.