« La Belle Jeunesse », de Jaime Rosales : Vie sans crédit
Jaime Rosales filme la difficulté d’être jeune aujourd’hui en Espagne.
dans l’hebdo N° 1331 Acheter ce numéro
Nous relevions il y a peu les propos d’Annie Ernaux dans son dernier livre, le Vrai Lieu, au sujet des jeunes, qualifiés de « grands sacrifiés ». C’est l’objet du film de l’Espagnol Jaime Rosales : la Belle Jeunesse. Titre ironique, car cette période de la vie dans notre époque, plus particulièrement en Espagne, est âpre et mortifère. Natalia (Ingrid Garcia-Jonsson) et Carlos (Carlos Rodriguez) ont pour eux les douceurs de l’amour. Un bien précieux mais fragile. Ils habitent encore chez leurs mères respectives. Celle de Carlos est souffrante, et Natalia a une sœur plus jeune à la maison. Les deux protagonistes sont au chômage. Elle cherche du boulot avec plus de persévérance que lui, en vain. La Belle Jeunesse ne joue sur aucun pathos. Avec un naturalisme sobre, le film montre comment le manque d’argent et l’absence de perspectives corrompent tout. Natalia et Carlos tiennent, mais il ne faudrait pas grand-chose pour qu’ils commencent à se détester. Les sentiments se dilatent, les solidarités familiales s’épuisent.
Un coup de théâtre survient avec la révélation que Natalia est enceinte. Une vie d’expédients ne suffit plus. Avec l’arrivée d’un enfant – une joie en même temps qu’une catastrophe –, les jeunes parents vont devoir trouver des solutions. La tentation de la délinquance affleure, mais le cinéaste n’a pas fait basculer son histoire dans une autre violence que celle qu’on inflige aux sociétés plongées dans l’austérité – même si violences sociale et physique sont liées, comme le suggère le film. Car il y a peut-être pire. La seule vraie source d’argent, Natalia et Carlos l’obtiennent en « jouant » pour un porno artisanal. De la même manière, Natalia, qui voyait un nouvel horizon en s’exilant en Allemagne, ne trouve finalement que des séances de photos où elle doit se mettre nue. Le trafic de son corps : voilà tout ce qui reste à « la belle jeunesse ».