La justice donne un coup d’arrêt au Center Parc de Roybon
Le tribunal administratif de Grenoble, au titre de la loi sur l’eau, donne raison aux associations en suspendant les travaux de défrichement du projet de Center Parc. Reportage.
Brouhaha inhabituel sur la petite place du bourg de Roybon. Au pied de cette improbable réplique de la statue de la liberté affichant « Libérez notre village », des dizaines personnes affluent vers le maire. Le tribunal administratif de Grenoble vient d’annoncer, ce mardi 23 décembre, la suspension des travaux de défrichement du projet de centre touristique Center Parc de Pierre & Vacances, ébranlant la légalité de l’arrêté préfectoral du 3 octobre qui les autorisait. « Les pro-Center Parc ont tout fait pour nous décrédibiliser en nous assimilant à une minorité radicale : nous avons raison grâce à la loi ! » s’enthousiasme Bernard Kuntz, membre de l’association Pour le Chambaran Sans Center Parcs (PCSCP).
Le retentissement de l’affaire du barrage de Sivens et la mise en place fin novembre d’une « zone à défendre » (Zad) ont vivement médiatisé l’opposition au projet. Pour autant, cela fait sept ans que la construction de ce village Pierre & Vacances, aux confins de l’Isère et de la Drôme, nourrit une bataille judiciaire entre associations et élus locaux. Aujourd’hui la justice est-elle l’expression des nouveaux rapports de forces politiques ? Le 2 décembre, cherchant à éviter un « nouveau Sivens », Jean-Jack Queyranne (PS), Président de la région Rhône-Alpes avait réclamé au préfet de région de suspendre les travaux, tout en souhaitant « revoir » la subvention votée par la région. Considérant jusqu’ici que l’affaire était du ressort des élus locaux, la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, s’est enfin prononcée estimant qu’il faut « écouter ce que disent les commissions d’enquêtes publiques » .
Douze points rédhibitoires au titre de la loi sur l’eau
À Roybon, sur 202 hectares de coteaux boisés (soit 10 fois la surface concernée par le barrage de Sivens dans le Tarn), le groupe Pierre & Vacances prévoit de construire 980 logements, pouvant accueillir 5 620 personnes dans des cottages, des restaurants et des commerces, autour d’une bulle transparente géante avec piscines et jacuzzi.
Les premiers opposants au projet souhaitaient défendre la trentaine d’espèces protégées et préserver cette zone humide. La commission d’enquête publique, ayant pourtant rendu un avis unanimement défavorable en citant douze points rédhibitoires au titre de la loi sur l’eau, avait été niée. C’est à ce titre que le juge des référés de Grenoble a suspendu les travaux. Depuis 2010, l’association PCSCP et ses 600 membres a ajouté une dimension socio-économique à la contestation, dénonçant le parachutage sur la commune de Roybon d’un tel « grand projet inutile et imposé » , à l’instar de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou du barrage de Sivens.
Pilier de la PCSCP et ancien directeur de société, Henry Giroud n’a tout à fait le profil de ces « anarchistes qui sapent tous nos projets dans le pays » , selon les termes du député UMP de l’Isère, Jean-Pierre Barbier. Adversaire opiniâtre, il a chiffré un total de 112 millions d’euros de subventions, de participations financières et d’aides fiscales offertes par les contribuables au promoteur immobilier Pierre & Vacances. À quoi vient s’ajouter le cadeau de 25 millions d’euros de la commune de Roybon lâchant le terrain pour une somme modique.
« 239 000 euros par emploi créé ? Absurde ! »
Les promoteurs de Center Parc se sont ainsi finalement trouvé confrontés à une contestation structurée mêlant riverains, militants de gauche, écologistes, entrepreneurs, pêcheurs… En dépit de la décision du tribunal administratif, le maire UDI Serge Perraud reste le premier à défendre le Center Parc, lancé par son prédécesseur et négocié par le conseil général de l’Isère, alors présidé par André Vallini (PS) actuellement secrétaire d’État à la réforme territoriale. En effet, Pierre & Vacances promet la création de 697 emplois, soit 468 « équivalents temps pleins », dont 48 % dédiés à des activités de nettoyage. Pourtant, les détracteurs du projet soulignent que faire émerger une petite ville au milieu de la forêt aura un coût élevé pour la collectivité puisqu’il faudra apporter l’eau, construire un réseau d’assainissement…
Sur la colline boisée en face du bourg de Roybon , il faut passer un barrage de gendarmes mobiles, avant de rejoindre la maison forestière de la Marquise propriété de l’ONF, occupée par le collectif de la Zad. Plutôt discrets depuis l’arrêt des travaux de défrichage, les militants, jeunes pour la plupart, se sont considérablement organisés depuis leur installation fin novembre en construisant des « avants postes » dans la forêt. Ici, plus qu’ailleurs, le souci de préserver l’environnement se confond avec une aspiration démocratique. On y revendique une réelle prise en compte des enquêtes publiques, une gouvernance publique débarrassée des lobbies et des dérives oligarchiques de la représentation politique locale.
« La décision du tribunal est une étape mais nous restons sur place jusqu’à l’abandon du projet , explique enthousiaste Nina, on vit dans un pays dans lequel on explique quotidiennement qu’il n’y a plus d’argent pour la santé, l’éducation et la recherche… Et puis le pactole tombe pour renflouer les caisses de Pierre & Vacances. » Car, circonstance aggravant pour les opposants, le grippage du modèle économique de Pierre & Vacances est apparu au grand jour en 2013, avec la saturation des niches fiscales exploitées par le groupe ainsi que l’absence de nouveaux projets touristiques économiquement pérennes. « À vingt kilomètres d’ici se trouve la zone industrielle de Saint-Etienne de Saint-Geoirs ! Et l’on voudrait, à Roybon, dépenser l’équivalent de 239 000 euros par emploi créé ? C’est absurde ! Pour la collectivité, cela coûte 15 fois plus qu’un emploi d’avenir » , fustige Henry Giroud.
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