Palestine : les ambiguïtés françaises

diplomatie Après un utile débat à l’Assemblée nationale, la position du gouvernement quant à une reconnaissance de l’État palestinien reste embarrassée et confuse.

Denis Sieffert  • 4 décembre 2014 abonné·es
Palestine : les ambiguïtés françaises
© Photo : AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK

Que va faire le gouvernement après l’adoption de la résolution en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien ? La question reste en suspens après un débat à l’Assemblée marqué par deux interventions de grande qualité, celles du député Front de gauche François Asensi et de l’UMP Axel Poniatowski, lequel s’est nettement démarqué de la plupart de ses amis politiques. « Nous avons la responsabilité de réparer une injustice vieille de 60 ans », a notamment déclaré François Asensi, tandis qu’Axel Poniatowski, lui aussi favorable à la résolution, a estimé que « le moment était le bon et que l’on devait arrêter d’attendre pour que la Palestine et Israël puissent enfin commencer à négocier sur un pied d’égalité ». Pour le reste, la droite s’est livrée à un concours d’arguties. Pierre Lellouche, notamment, a fait valoir un obstacle constitutionnel qui interdirait aux parlementaires de donner leur avis sur la question et de le faire connaître au gouvernement. On prendrait aussi le risque « d’importer le conflit » en France. En entendant l’UDI Meyer Habib, député franco-israélien des Français de l’étranger, voix officieuse du Likoud dans l’hémicycle, affirmer que « reconnaître la Palestine, c’est dire au Hamas de continuer à tuer », on se disait que le conflit était déjà bien présent, et jusqu’au sein de la représentation nationale…

Mais on attendait évidemment l’intervention de Laurent Fabius. Le ministre des Affaires étrangères n’a pas levé les ambiguïtés, c’est le moins que l’on puisse dire. D’abord sur le nouveau rythme à imprimer au processus. « Aux Nations unies, nous travaillons avec nos partenaires pour essayer de faire adopter une résolution du Conseil de sécurité en vue d’une relance et d’une conclusion des négociations, pour laquelle le terme de deux années est le plus souvent évoqué. » Relance ou conclusion ? On ne sait pas trop. S’agit-il de fixer à deux ans la durée de nouvelles négociations, comme le demande le projet de résolution de Mahmoud Abbas, ou ce délai serait-il simplement mis à profit pour obtenir la réouverture d’un nouveau processus ? C’est-à-dire exactement ce que les Palestiniens veulent éviter. On sait en effet les dirigeants israéliens orfèvres dans l’art d’ouvrir des négociations sans fin durant lesquelles la colonisation peut se poursuivre, réduisant à néant l’objet même des pourparlers. Quant au sort que le gouvernement réservera à la résolution proposée par les députés socialistes, il reste mystérieux. Assez habilement, le ministre a mis en garde contre « une reconnaissance en trompe-l’œil ». Sous les dehors d’une soudaine radicalité, c’est suggérer que le texte des députés serait en trompe-l’œil. Nul n’ignore qu’il s’agit d’une décision de portée symbolique qui prendra tout son sens si la reconnaissance est suivie de pressions sur le gouvernement israélien. Laurent Fabius a par ailleurs relancé l’idée d’une conférence internationale sur le Proche-Orient. « La France, a-t-il dit, est disposée à en prendre l’initiative. » Avant de conclure : « Si ces efforts échouent, si cette tentative ultime de solution négociée n’aboutit pas, alors il faudra que la France prenne ses responsabilités en reconnaissant sans délai l’État de Palestine. » On admirera le « sans délai ». Autant dire qu’il n’entre pas dans les intentions de l’exécutif de donner une suite rapide à la résolution des députés. Le ministre des Affaires étrangères a sans doute dans cette affaire une position inconfortable. Il se fait le porte-parole, fonction oblige, d’un François Hollande beaucoup plus réticent que lui, et dont le tropisme pro-israélien s’est manifesté à maintes reprises depuis deux ans.

En attendant, ce sont les sénateurs qui vont devoir débattre de la question. Ils le feront le 8 décembre, à partir d’une initiative lancée par la sénatrice EELV Esther Benbassa. L’affaire sera plus compliquée puisque la droite a repris la majorité. Quoi qu’il en soit, le gouvernement ne pourra pas échapper à ses responsabilités. Le Front de gauche a demandé qu’il suive « rapidement » le vote de l’Assemblée. « La résolution ayant été rédigée avec l’aval de Laurent Fabius, il serait inconcevable que le gouvernement n’aille pas au bout de cette démarche », avait estimé François Asensi avant le débat du 28 novembre. Voire.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »
Vidéo 17 janvier 2025

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »

Alors que Donald Trump deviendra le 47e président des Etats-Unis le 20 janvier, Bertrand Badie, politiste spécialiste des relations internationales, est l’invité de « La Midinale » pour nous parler des ruptures et des continuités inquiétantes que cela pourrait impliquer pour le monde.
Par Pablo Pillaud-Vivien
Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social
Récit 17 janvier 2025 abonné·es

Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social

Donald Trump a promis de couper dans les dépenses publiques, voire de supprimer certains ministères. Les conséquences se feront surtout ressentir chez les plus précaires.
Par Edward Maille
Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse
Analyse 17 janvier 2025

Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse

Les règles économiques et commerciales de la mondialisation ayant dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique.
Par Louis Mollier-Sabet
À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire
Reportage 15 janvier 2025 abonné·es

À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire

Que reste-t-il quand un missile fauche 59 personnes d’un petit village réunies pour l’enterrement d’un soldat ? À Hroza, dans l’est de l’Ukraine, les survivants et les proches des victimes tentent de gérer le traumatisme du 5 octobre 2023.
Par Pauline Migevant