Un amour d’enfer
Séverine Chavrier adapte les Palmiers sauvages de William Faulkner. Un superbe bric-à-brac.
dans l’hebdo N° 1331 Acheter ce numéro
Trente-cinq ans, un mari, des enfants et de jolies robes assorties d’élégantes chaussures à talons. Au début des Palmiers sauvages, portés sur scène par Séverine Chavrier, Charlotte Rittenmeyer a tout de la bourgeoise accomplie. Mais pas pour longtemps. Dès la première scène, après quelques répliques anodines, Deborah Rouach donne à l’héroïne faulknérienne un air suspect. Plus que ses paroles jetées en l’air comme des poignées de sable ou de poussière, ses gestes précipités trahissent une envie d’ailleurs. D’autre chose. D’amour fou et de traversée des apparences. Un rêve de femme-enfant que la comédienne incarne avec bruit et fureur, en accord avec la violence du roman et la mise en scène foisonnante de Séverine Chavrier.
Pour transposer au théâtre cette œuvre où la souffrance atteint un degré inédit chez Faulkner – selon François Pitavy, dans sa préface publiée dans La Pléiade –, cette dernière a utilisé son langage habituel. Un mélange de vidéos, de sons qui fusent d’un peu partout dans la salle, de musique qui déchire les tympans et de corps qui s’agitent jusqu’à l’épuisement. Sans oublier le texte. Les Palmiers sauvages étant très pauvres en dialogues, Séverine Chavrier a dû imaginer un langage à mettre dans la bouche de Charlotte et de Harry Wilbourne (Laurent Papot), interne en médecine qui décide de tout plaquer pour voyager avec la femme-enfant hyperactive. Avec bonheur, elle a opté pour un parler simple et imagé, à la poésie rocailleuse.
Dans ce spectacle, les amants en rupture de ban parlent comme ils bougent. Sans s’arrêter, mais sans jamais aller non plus jusqu’au bout de leurs réflexions sur l’amour. Pourtant, ils ne font que ça, gloser sur les sentiments. Sur leur pseudo-amour qu’ils veulent pur et absolu ; qui n’est en fait que stratégie de lutte contre l’ennui et tentative désespérée pour éviter de sombrer dans la dépression. Échec et mat. Au milieu du grand gourbi que leur a composé le scénographe Benjamin Hautin, Deborah Rouach et Laurent Papot jouent avec cris et fracas la dégringolade du couple. Une haute étagère pleine de boîtes de conserve vides, des tas de matelas qu’ils passent leur temps à déménager, des caisses de bière et tous les meubles déglingués qui encombrent la scène… Chaque élément du décor-foutoir joue un rôle précis dans la descente aux enfers de Charlotte et Harry. Et la saturation de l’atmosphère visuelle et sonore déréalise la romance, l’éloigne dans une représentation pathétique mais sublime. Comme Faulkner, entre le néant et le chagrin, Séverine Chavrier et ses comédiens ont choisi le chagrin. Et c’est bien…