Zemmour ou « l’impuissance de la gauche »
Noël Mamère et Patrick Farbiaz analysent le succès actuel de la pensée réactionnaire.
dans l’hebdo N° 1331 Acheter ce numéro
Pourquoi la pensée réactionnaire rencontre-t-elle un tel succès ? Voici la question fondamentale que se posent les auteurs de Contre Zemmour, réponse au Suicide français. Noël Mamère, député de Gironde, et Patrick Farbiaz, militant écologiste, ont choisi de prendre au sérieux l’essai du polémiste Éric Zemmour et d’analyser sa réussite comme un symptôme. Celui d’une société française gagnée par la peur du « grand remplacement » et visiblement conquise, au vu des chiffres de vente, par les thèses « déclinistes » de l’essayiste réactionnaire.
Le Suicide français fonctionne, nous disent Mamère et Farbiaz, car Éric Zemmour est simple et efficace. Il obtient l’acquiescement du lecteur en choisissant des exemples, dans le cinéma ou la musique, qu’il « suridéologise » pour asséner des vérités sur la déliquescence de la France. Ailleurs, il essentialise des communautés afin de les maintenir dans des rôles qu’il estime naturels. Surtout, il tord les chiffes et les faits pour réécrire une histoire fantasmée. Car la charge de l’essayiste contre la modernité est aussi l’occasion de faire preuve d’un révisionnisme historique décomplexé. Éric Zemmour s’autorise ainsi à affirmer que 63 homosexuels français seulement ont été déportés dans les camps de concentration nazis à cause de leur orientation sexuelle. C’est faux : selon l’association Les Oublié-e-s de la mémoire, ils furent 350 à être emprisonnés ou déportés, tandis que 10 000 à 15 000 ont subi le même sort à l’échelle de l’Europe. Mais la capacité d’Éric Zemmour à manier la rhétorique ne peut expliquer à elle seule le succès d’édition de son essai. La gauche a, elle aussi, sa part de responsabilité, estiment les deux auteurs, dans le triomphe des idées racistes, sexistes, homophobes et islamophobes proférées par le pamphlétaire. « Le succès du Suicide français, affirment-ils, est le miroir idéologique de l’impuissance d’une gauche qui a démissionné en reniant ses convictions et ses principes. »
Cette dernière partie du livre se révèle la plus intéressante, car elle constitue un véritable mea culpa de la part d’un responsable politique de gauche tel que Noël Mamère. Une gauche coupable d’avoir renoncé à la bataille idéologique. Une gauche paresseuse qui ne s’est pas adaptée : son programme de base est resté peu ou prou celui du Conseil national de la Résistance, et sa figure emblématique Jean Jaurès. Il faut qu’elle se remette en mouvement, suggèrent les auteurs. Qu’elle mène enfin une révolution gramscienne, c’est-à-dire qu’elle relève le défi idéologique posé par la droite. En abandonnant le communisme « qui est mort » et la social-démocratie « qui se meurt ».