« Discount », de Louis-Julien Petit : Rayon solidarité

Pour son premier film, Discount, Louis-Julien Petit signe une réjouissante comédie sociale.

Jean-Claude Renard  • 21 janvier 2015 abonné·es
« Discount », de Louis-Julien Petit : Rayon solidarité
© **Discount** , Louis-Julien Petit, 1 h 45.

On prépare sa caisse, range les chariots, remplit les rayons de produits, avant que la foule ne déboule dans le magasin. Tout va très vite dans cette mécanique bien huilée. Rapprochés, les plans se succèdent à la vitesse d’un code-barres passé au rayon laser. Chaque jour, des kilos de marchandises abîmées, invendues ou proches de la péremption sont jetés dans une benne, écrasés, détruits, piétinés à coups de bottes, puis javellisés. Ça discute et plaisante un peu à la pause-déjeuner, sur le parking de ce supermarché discount. Et ça repart au turbin dare-dare, à la caisse, en rayon. À la sortie, on passe à la fouille, sous la palpe d’un chefaillon. Des fois que viendrait l’envie de chiper, malgré les caméras de surveillance. Un labeur ingrat pour une petite communauté de crevards, payés 10 euros de l’heure. Soit 945 euros brut par mois. Avec le sourire, s’il vous plaît. Dans le bureau de la gérante, une affiche recommande la banane. Idem en magasin, où le slogan « Sbam » s’adresse directement aux caissières. C’est-à-dire « Sourire », « Bonjour », « Au revoir », « Merci ! ». Ailleurs, dans un bureau impersonnel, des cravatés inculquent les bonnes méthodes pour licencier un employé, avec le sourire toujours. Et pour cause : certaines caissières vont être remplacées par des caisses automatiques. Les voilà en concurrence, soumises au chronomètre. Bientôt sonnera la révolte.

Premier film de Louis-Julien Petit, Discount commence là. Dans une périphérie industrielle quelconque, sous un ciel gris contrastant avec les couleurs acidulées d’un supermarché aux relents d’univers carcéral. Conscients qu’ils ne valent pas plus que ces emballages piétinés dans une benne, tous jetables, ils sont quelques-uns à vouloir relever la tête, prendre en main leur destin. Cinq potes et collègues imaginant, en guise de prime de licenciement, le détournement de marchandises pour créer leur propre supermarché alternatif. À prix cassés. Une révolte de retors qui se veut joyeuse, emmenée par Gilles, accompagné de Christiane, Emma, Alfred et Momo. Accrochés à leur besoin de dignité. Entre deux séquences de travail, entre deux actes de « résistance civique », Louis-Julien Petit livre des bribes de vie des uns et des autres, plus ou moins meurtris dans leur sphère intime, têtes hautes gardant, sans plaintes, hères esseulés. Des bribes d’existence humble, insérées dans la narration, apportant de l’épaisseur aux personnages, glissées subtilement le long d’un montage vif, nerveux, à l’esthétique soignée, dans un récit passant d’un registre à l’autre, entre gravité et légèreté (avant de prendre un parti). Avec un mot d’ordre au-dessus de la débrouille et de l’amitié : « solidaires ! », point d’exclamation compris, décliné dans cette « rébellion positive » furieusement drôle, qui s’exprime ne serait-ce qu’à travers un ticket de promotion donné aux plus démunis.

Porté par des comédiens au jeu plus que réaliste (Olivier Barthélémy, Corinne Masiero, Pascal Demolon, Sarah Suco et M’Barek Belkouk, époustouflants d’humanité, de justesse, comme l’est Zabou Breitman dans son rôle de gérante autoritaire), le réalisateur signe ainsi une comédie sociale douce-amère, une remarquable leçon de générosité, fraîche et fringante. Une fiction engagée d’autant plus forte et universelle que Louis-Julien Petit ne s’attache pas au seul sujet des conditions de travail dans un hard-discount, mais pointe également les méthodes de management, la pression de la rentabilité, le gaspillage alimentaire, les traitements dégradants des ressources dites « humaines », les humiliations des petits chefs, la déshumanisation de notre société. Sans s’épargner d’un regard humoristique et jubilatoire dans son sens critique.

Cinéma
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