Emmanuel Macron roule pour le car
Le projet de loi du ministre de l’Économie pour libéraliser la desserte des grandes lignes par la route est examiné cette semaine par l’Assemblée nationale. Une menace pour le rail et pour l’environnement.
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Chambériens, vous désirez rallier la capitale en autocar, souvent moins cher que le train ? Il faudra vous adresser à une compagnie exploitant la ligne Milan-Paris : les liaisons nationales longue distance ne sont aujourd’hui autorisées en France que par « cabotage » sur une relation internationale. Les compagnies d’autocars ont par ailleurs interdiction de réaliser plus de la moitié de leur chiffre d’affaires sur ce type de services dérivés. Conséquence, ce marché est très peu développé, la part du car sur les liaisons interrégionales est inférieure à 1 %, en dehors de la desserte d’événements spécifiques : concerts, manifestations, etc. [^2].
La loi Macron, actuellement en débat en commission et que les députés examineront à partir du 26 janvier, entend faire sauter la plupart de ces limitations, lesquelles visaient à protéger le rail : les sociétés d’autocars auront toute liberté pour relier deux villes en France distantes de plus de 100 kilomètres. En deçà, il leur faudra l’autorisation de l’autorité organisatrice des transports (régions ou département), dans le but de préserver l’ « équilibre économique des services publics ». En clair : les initiatives des compagnies privées ne devront pas menacer les lignes de transport express régional (TER), rail ou car. Cette libéralisation, affirme le ministre de l’Économie, dynamisera les liaisons existantes (Paris-Lille, Orléans-Bordeaux, Tours-Bayonne…), selon un avis de l’Autorité de la concurrence [^3] qui a largement inspiré la loi, et suscitera la création de nouvelles dessertes, comme Bordeaux-Lyon. Argument économique (la création de 10 000 emplois), mais aussi social : les personnes à faibles revenus pourront voyager plus, car elles limitent leurs déplacements en raison de tarifs en moyenne deux fois plus élevés par train que par car. Calcul de Bercy : les Français récupéreraient 700 millions d’euros de pouvoir d’achat dans l’opération. « Aux pauvres, le car, aux plus aisés, l’avion et le train : on risque une segmentation malsaine », s’inquiète Jean Sivardière, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut). Sans compter que les comparaisons tarifaires présentées par le ministre sont biaisées, estime Michel Dubromel, chargé du transport au réseau France nature environnement (FNE) : « Le ticket de car n’inclut pas le coût pour la société des infrastructures ni des émissions de CO2. »
Emmanuel Macron n’est pas de cet avis. Pour lui, l’autocar longue distance aurait un bilan carbone favorable, meilleur que le covoiturage, qu’un train peu rempli et, a fortiori, que la voiture individuelle. La ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, pousse dans le même sens, estimant que la loi donnera l’occasion de développer des autocars « propres ». En réalité, le projet ne s’appuie sur aucune étude dédiée. Devant cette lacune, la commission a introduit un amendement demandant un rapport à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Il est prévu pour 2016, soit des mois après l’adoption (très probable) de la loi… La mariée est décidément trop belle, s’offusquent les associations. « Le ministre prépare clairement un transfert du rail vers la voiture, déplore Jean Sivardière. Car il escamote un phénomène fondamental : le car attire moins que le train. » Les autocars se sont modernisés, convient-il, mais d’importants inconvénients persistent : exiguïté, bagages inaccessibles pendant le voyage, vitesse limitée et dépendante des embouteillages… La Fnaut observe ainsi que le remplacement par car d’une desserte régionale ferroviaire induit une déperdition de 30 à 50 % de la clientèle, qui retourne à l’automobile. Un rapport prospectif du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), non publié mais dont Jean Sivardière a eu connaissance, prévoit une « évaporation » du même ordre. « La concurrence des deux moyens de transport est contre-productive sur le plan environnemental. »
Les associations reconnaissent en revanche l’utilité de l’autocar là où il n’existe pas de desserte par train, « parce qu’il remplace la voiture, commente Lorelei Limousin, en charge du transport au Réseau action climat (RAC). Le problème tient à une libéralisation brutale qui va fragiliser le rail face à la route, alors que les garde-fous sont insuffisants et que l’avenir des trains Intercités est menacé par un manque de financement. » Des trains de nuit sont supprimés [^4], et l’essor des dessertes privées par car risque de fournir des arguments aux gestionnaires qui veulent se défaire des lignes peu rentables. « Macron fait les choses à l’envers. Avant de déréguler le transport par autocar, il faudrait renforcer le train, y compris par une ouverture à la concurrence, afin de gagner en qualité de service, estime Jean Sivardière. C’est ce qu’ont fait les Anglais. » Pour Michel Dubromel, c’est signé : le projet de loi répond à la pression de la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV), qui regroupe les principales compagnies d’autocars. « Depuis près de deux ans, elles mènent un lobbying considérable auprès des pouvoirs publics pour obtenir l’ouverture du secteur. »
[^2]: 110 000 voyageurs par an, pour 61 villes françaises desservies par 175 liaisons.
[^3]: 27 février 2014.
[^4]: Voir Politis n° 1332, 18 décembre 2014.