Fipa : Des histoires en images

Toujours aussi éclectique, la dernière édition du Fipa, à Biarritz, a livré ce qu’il peut y avoir de meilleur à la télévision.

Jean-Claude Renard  • 29 janvier 2015 abonné·es

Années de la Mitterrandie. Celles aussi de Felipe González. Le Pays basque français se fait base de repli des militants de l’ETA. Les barbouzes du Groupe antiterroriste de libération (GAL) sévissent du côté de Bayonne. Terre d’asile, la France de Badinter cède aux extraditions. Concentrant son regard sur la confrontation entre un chef de l’appareil militaire de l’ETA et un représentant de l’Élysée, recréant du réel, Olivier Masset-Depasse livre, avec Sanctuaire, un film forcément politique mais aussi un film de politique politicienne, avec ses convictions, ses illusions et ses désillusions. Projeté à Biarritz, lors de la 28e édition du Festival international des programmes audiovisuels (Fipa), dans la région même où se sont déroulés les faits, Sanctuaire n’a pas manqué de susciter l’émotion, réveillant des souvenirs douloureux d’à peine trente ans. Dans un autre genre, entre passé et présent, Manon Loizeau a rendu compte, dans Tchétchénie, une guerre sans traces, d’une terre oubliée et de l’agonie d’un peuple. Dix ans après le premier voyage de la réalisatrice, les tours de Grozny ont tout effacé. Asphalte flambant, bâtiments de verre et culte de la personnalité autour d’un Kadyrov saluant Poutine. Si longtemps insoumis, le peuple s’est résigné. Manon Loizeau ne se contente pas de filmer ce « no man’s land de l’oubli », elle recueille, le plus souvent dans l’ombre ou dos à la caméra, les paroles des proches des 18 000 personnes disparues, des intellectuels et des artistes bravant les interdits du régime. On est loin des détenus aborigènes de Berrimah, à Darwin, en Australie, se prêtant au jeu des caméras de Kelrick Martin pour évoquer en chansons leurs parcours, leurs conditions, composant ainsi, avec Prison songs, une étonnante comédie musicale, déployée allégrement dans le carcan carcéral.

C’est tout l’intérêt du Fipa de présenter des œuvres destinées à la télévision, dont certaines resteront orphelines, en butte à la frilosité des chaînes. Il y a pourtant parmi elles d’authentiques curiosités, réellement originales ou d’utilité publique. C’est le cas de la Négociation, de Nicolas Frank. Le réalisateur a filmé les tractations de la politique agricole commune (PAC) entre 2012 et 2013, dans le sillage de Stéphane Le Foll et de ses conseillers. Non sans montrer un souci pédagogique constant, revenant aux sources mêmes de la PAC et au traité de Rome. Concentré sur les coulisses des négociations à Bruxelles, comme un contrepoint aux enjeux européens, Nicolas Frank glisse le témoignage d’un producteur de lait en Savoie et d’un petit céréalier dans l’Yonne. Finalement, peu importe les conclusions de cette négociation, c’est au paysan bourguignon de ponctuer cet exercice de transparence démocratique, filmé tel un thriller : « On discrédite la profession et la vocation nourricière de la terre ; on a fait intervenir trop de vivant, avec des milieux et des êtres trop fragiles et sensibles pour laisser ça au monde marchand. » Des propos amers, tenus sur un tracteur isolé, cadré plein champ, apportant son poids de forme au discours.

La forme, c’est justement la marotte de Rithy Panh, avec La France est notre patrie, illuminant le festival biarrot. Œuvre époustouflante articulée autour de la colonisation du Cambodge, de « l’Indochine fertile ». Se succèdent des archives de 1899 aux années 1950, les Blancs d’un côté, chapeautés, cravatés, conquérants, le menu peuple de l’autre, « énigmatique et simple », tirant à vive allure le pousse-pousse sur lequel pavoise le colon, ou coi devant les Parisiennes arborant leurs plus belles robes, chargées d’arrogance et de crânerie. Dans l’esprit de bienfaisance, on éduque, soigne et propagandise, on extrait toutes les richesses pour les rapporter en métropole. In fine, c’est là un vrai manuel scolaire des « bienfaits » de la colonisation. Aucun commentaire, pas même une voix off. Seule une musique, aux tonalités parfois ironiques, accompagne ce tableau historique et politique, jalonné de bancs-titres pas moins ironiques que la musique. Juste « une histoire d’images et une histoire en images », qui nous apprendrait « à regarder ». L’exacte définition d’un festival éclectique.

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