« Home », de Boris Lojkine : Une romance en exil

Avec Hope, fiction sensible et implacable, Boris Lojkine montre de l’intérieur la réalité des migrants africains en marche vers l’Europe.

Christophe Kantcheff  • 29 janvier 2015 abonné·es
« Home », de Boris Lojkine : Une romance en exil
Hope , Boris Lojkine, 1 h 31.
© DR

Un village du sud algérien, dans le Sahara. Une poignée de migrants font étape à cet endroit, comme des milliers avant eux. Objectif : l’Europe. Là, une femme seule, mutique, qui aurait préféré passer inaperçue, est repérée par un groupe de Camerounais. C’est une jeune Nigériane, Hope (Endurance Newton). Dès lors, elle s’accroche, parmi ces hommes, à Léonard (Justin Wang), qui a la faiblesse de ne pas la repousser, alors que venir en aide à cette fille serait ajouter une difficulté supplémentaire à un parcours déjà incertain.

Hope est le premier long métrage de fiction de Boris Lojkine, qui avait jusqu’ici réalisé des documentaires, après une thèse de philosophie. La démarche du cinéaste, ici, est primordiale. Hope n’est pas seulement le résultat de l’intérêt qu’un cinéaste européen, français en l’occurrence, a porté aux Africains en exil. Il a étroitement associé au film ceux avec lesquels il a travaillé, en particulier les comédiens. Tous sont de vrais migrants. Si le cinéaste leur a bien sûr demandé de rester fidèles au scénario, il a aussi transformé celui-ci en fonction des personnes qu’il avait face à lui, de leur façon de parler – le « francamerounais » en particulier – et de leur connaissance aiguë de ce à quoi sont confrontés les migrants. On songe à la formule « faire politiquement des films politiques ». Il s’agissait de ne surtout pas tourner à la manière d’un « cinéaste touriste », qui reviendrait avec un film certes peut-être de gauche-comme-il-faut, mais utilitariste, sinon cynique. Hélas, il en existe. Au contraire, Hope est le fruit d’une vraie coopération. Montrer cette réalité par le biais d’une histoire d’amour est une autre idée bienvenue. D’abord parce que les sentiments amoureux sont rarement accordés aux personnages dans ces situations – pourquoi les romances n’existeraient-elles pas aussi chez les plus démunis, les plus indésirables ? Ensuite, parce que celle-ci ne sert pas d’agrément à une histoire par ailleurs âpre. Elle ** commence d’ailleurs ** sur un mode on ne peut moins romantique. Hope s’accroche à Léonard car elle ne veut pas être renvoyée avec les migrants nigérians.

Le film montre par là à quel point l’itinéraire de l’exil, contraint par les multiples frontières et obstacles, est aussi très compartimenté en fonction de son appartenance à un peuple, à une identité. Et combien chaque « ghetto » (camerounais, nigérian…) est hiérarchisé, organisé, avec à sa tête un chairman, personnage tout-puissant, tyrannique, mafieux, cruel… Quant à Léonard, en partie débordé par la situation, et sur un coup de tête, il n’hésite pas, afin de récupérer l’argent déboursé pour Hope, à la « vendre » pour la nuit au plus offrant. L’amour qui naît entre eux s’appuie, on le voit, sur une situation complexe. Lorsque l’argent leur manque pour aller plus loin, Hope accepte de se prostituer dans la ville voisine – les femmes sont, là comme ailleurs, les plus mal loties. Et l’unique moyen pour aller plus loin dans leur périple passe par un acte de violence auquel Léonard se soumet non sans réticence. Une existence qui ne leur accorde que peu de temps pour la tendresse ou l’intime complicité. Boris Lojkine réussit à rendre ces moments rares, précieux, où les deux amoureux ne sont que l’un pour l’autre. Hope et Léonard sont les nouveaux héros du cinéma de notre XXIe siècle débutant. Héros anonymes, comme les comédiens qui les incarnent, dans une Afrique déshéritée, abandonnée, désireux de vivre, des rêves à réaliser pleins la tête, mais dont le prix à payer peut être celui de leur vie. Boris Lojkine signe un film terriblement contemporain, sensible et implacable.

Cinéma
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