Médias : 55 heures chrono

Dans leur course à l’audience, radios et télévisions ont joué gros… y compris parfois avec la vie des otages.

Pauline Graulle  • 15 janvier 2015 abonné·es
Médias : 55 heures chrono
© Photo : AFP PHOTO / THOMAS SAMSON

Aucun reproche à se faire. « Les autorités publiques et les autorités de la police nous ont appelés pour nous remercier de notre sens des responsabilités », a affirmé, lundi matin, le patron de la rédaction de BFM-TV, Hervé Béroud, sur France Inter. « J’ai un texto de mon interlocuteur à la police judiciaire à 17 h 16, vendredi, qui me dit : “Merci de votre aide précieuse” », a-t-il ajouté, tentant une fois pour toutes de faire taire ceux qui accusent la chaîne d’avoir voulu faire du drame de Charlie Hebdo, et de ses suites tragiques, un feuilleton façon 24 heures chrono .

Après la séquence « émotion », les critiques ont commencé à fuser, en début de semaine, sur le rôle joué par les médias français pendant les 55 heures de la traque. En entrant directement en contact avec les terroristes, n’ont-ils pas prêté le flanc aux manipulations de ces derniers ? Dans quelle mesure filmer et diffuser certaines informations aurait-il pu provoquer de graves conséquences sur le déroulé des opérations ? Même le CSA, d’ordinaire peu prompt à la querelle, s’est fendu, lundi, d’un communiqué informant qu’il examinait d’éventuels « manquements qu’auraient pu commettre » les médias. Et ils sont nombreux à avoir joué avec les limites de la déontologie journalistique. Quand ce n’est pas avec la vie des personnes sur place… Vendredi, avant l’issue de la prise d’otages de la porte de Vincennes, le journaliste « police-justice » de BFM-TV, Dominique Rizet, informé par le Raid, annonce en plateau qu’un individu se cache dans la chambre froide de l’Hyper Cacher. On n’ose imaginer le sort des cinq personnes (dont un bébé) qui s’y trouvaient, si Amedy Coulibaly avait regardé les infos à cet instant… Le jeune graphiste de 26 ans caché sous un évier dans l’imprimerie de Dammartin-en-Goële, là où les frères Kouachi étaient retranchés, a lui aussi eu bien de la chance que les assassins n’aient pas ouvert leur poste de radio, vendredi, en fin de matinée. Les deux hommes, qui ignoraient tout de la présence de cet employé à quelques mètres d’eux, auraient entendu le député (UMP) de la circonscription, Yves Albarello, vendre la mèche sur RMC : « Il y a un otage identifié, et il y aurait une deuxième personne ignorée par les fugitifs, mais qui serait cachée à l’intérieur de l’entrepôt », expliquait le député – manifestement mal informé. Pour les détails, il suffisait d’allumer France 2, où, lors d’une interview en direct avec Élise Lucet, la sœur de l’« otage » révélait à la France entière le nom de son pauvre frère…

Si le minimum de confidentialité requis en de pareilles circonstances a été bafoué (y compris par le service public), les contacts directs entre les terroristes et les chaînes laissent perplexes. Conscient du poids de BFM-TV dans le landerneau médiatique, Amedy Coulibaly a téléphoné lui-même à la chaîne, en pleine prise d’otages, prétextant chercher un contact… à la police. Une occasion en or pour la chaîne, qui ne s’est pas privée de passer en boucle des extraits de l’entretien. RTL a fait encore plus fort, en diffusant le dialogue entre Coulibaly et les otages, car le ravisseur avait mal raccroché le combiné après une interview avec la radio. Un extrait sans réel intérêt journalistique, mais qu’importe. Au surlendemain de l’attentat à Charlie Hebdo, Alain Weill, actionnaire de BFM, se félicitait, sur Twitter, du « record d’audience historique pour BFM-TV  […] hier », avant de retirer précipitamment son malencontreux tweet. Trop tard : tout était dit.

Société Médias
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