« Ouvrir une autre gauche et lui donner une hégémonie »
Un appel des forces de gauche, alliant partis, acteurs du mouvement social, syndicats et secteur associatif, veut reconquérir le terrain de la bataille des idées dans une dynamique d’échange avec la société civile.
dans l’hebdo N° 1335 Acheter ce numéro
L’une est une dirigeante nationale du PCF, l’autre le numéro deux d’EELV. Ils sont signataires de l’appel « pour des chantiers d’espoir », publié ces jours-ci. Tous deux ont accepté de nous présenter les objectifs et la singularité de cette initiative née de plusieurs réunions rassemblant des responsables nationaux d’EELV ou du Front de gauche, des animateurs du mouvement social, des militants syndicaux, associatifs, altermondialistes et féministes.
Quelle est l’originalité de cet appel pour des chantiers d’espoir ?
Marie-Pierre Vieu : L’originalité de cette initiative est d’abord dans le « faire ». Il y a maintenant besoin d’acter des convergences et de faire en sorte qu’elles aboutissent à du concret. Faire la preuve qu’on peut se rassembler, dire des choses et commencer à travailler. La seconde originalité est l’idée qu’au-delà des partis et des personnalités politiques, il nous faut aussi faire converger les forces sociales et les acteurs sociaux, culturels et intellectuels, et attaquer de front la rupture démocratique. On a conscience que la seule question de l’alternative au gouvernement ne suffira pas, qu’il faut faire évoluer les rapports de force sociaux et mener la bataille d’idées. La démarche doit se construire dans un échange perpétuel entre le haut et le bas, partir des questions que se pose la société et s’attaquer au fossé entre citoyens et politiques.
David Cormand : Il faut parler du contexte politique dans lequel s’inscrit cette démarche : partout en Europe, on voit l’échec des politiques libérales. C’est le cas en Grèce, en Europe du Sud, c’est aussi en train de nous arriver à nous, et même en Allemagne les choses se dessinent mal. On arrive à une fin de modèle : ça crée un appel d’air politique qui donne des choses sympathiques, comme Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne, mais chez nous ça donne l’extrême droite. L’autre élément de contexte, c’est l’effondrement politique et électoral du PS, qui rejaillit sur l’ensemble des partis de la gauche ou partenaires de la gauche. Pour les écologistes, tout cela motive pour expérimenter et construire une offre afin d’essayer de vaincre le désespoir existant dans l’électorat. Dans son contenu, cet appel est un peu différent des appels qu’on a pu avoir à la gauche de la gauche : la croissance n’est pas présentée comme un horizon nécessaire pour pouvoir redistribuer ; il intègre des données nouvelles comme le pouvoir de vivre et le partage des ressources. Il y a également le périmètre politique dans lequel cette démarche s’inscrit : cet appel ne ferme pas le périmètre d’invitation. Dans une situation politique où les choses se ferment, ce serait une faute, pour nous, de ne pas l’ouvrir, à condition que la ligne soit claire.
Quelles sont les composantes qui s’engagent dans cet appel ?
D. C. : Il faut d’abord que cette démarche se fasse avec la société. Dans les tentatives de rassemblement antérieures, quand les choses ont bloqué, ce n’était pas à cause de la société. C’était parce que les organisations politiques qui présentent des candidats aux élections n’avaient pas réussi à s’entendre dans une dynamique qui aille jusqu’au bout, jusqu’aux élections. Il faut donc travailler en lien avec la société civile, et que les politiques traduisent la dynamique citoyenne en dynamique électorale, ce qui permet à la fin de gagner.
M.-P. V. : Si notre travail autour de l’appel n’aboutit pas, on se retrouve prisonnier pour 2017 d’un débat à trois : la droite, l’extrême droite et un Parti socialiste dont la seule qualité sera d’être la voie de gauche, mais qui n’arrivera pas au second tour. L’exercice auquel on se livre est donc extrêmement important. On n’est pas là pour peser sur la gauche, on est là pour ouvrir une autre gauche et lui donner une hégémonie. Dans l’état actuel des choses, avec la loi Macron qui arrive, il faut vraiment associer la dimension sociale, culturelle et politique, créer un Front populaire d’un type nouveau.
Est-ce que les échéances électorales, d’ici à 2017, ne risquent pas d’altérer le processus de construction ?
M.-P. V. : L’idéal serait que, dès à présent, on donne une visibilité complète à notre démarche, et que, dès les départementales de mars, on affiche ce qu’on veut construire avec des candidatures de large rassemblement. De même, pour les régionales, on fera tout pour faire converger les choses. Après, il ne faut pas se mentir sur les difficultés et les obstacles à surmonter ensemble. On n’est pas dans une démarche politicienne et simplement d’appareil, on est dans une démarche de fond qui doit se construire dans des propositions communes et avec des pratiques communes.
D. C. : Oui, ce sera difficile. Surtout, je pense qu’il ne faut pas imposer une ligne nationale, mais que l’on fasse tous dans nos régions ce qui nous paraît le plus intelligent. Le pari que je fais, c’est que les choses se feront par capillarité. On a des histoires militantes très différentes entre communistes, écologistes, environnementalistes, et, pour que ça fonctionne, cela ne peut pas être quelque chose qui arrive du national en disant : « On a des choses en commun, maintenant embrassons-nous. » Il faut aussi que ça se fasse par un travail militant en commun, et c’est pour cela qu’on ne peut pas attendre telle ou telle échéance pour expérimenter. Après, il y a un autre défi, c’est celui des ego, puisqu’il s’agit d’avoir une seule candidature. Il faut faire confiance, pas après pas, laisser les choses se faire à leur rythme.
Vous avez appelé cette initiative les « chantiers de l’espoir », pouvez-vous nous expliquer concrètement la forme que ces chantiers vont prendre ?
M.-P. V. : Il y a d’abord l’appel, qui doit donner à voir le périmètre de la démarche, c’est-à-dire montrer qu’il y a des intellectuels, des politiques, des gens de toute la gauche, comme Caroline De Haas ou Philippe Marlière. Ensuite, on va le faire signer très largement dans tous les départements. À partir de là, on va construire des initiatives de débats et d’ateliers, pour construire ensemble au niveau local. Et, en même temps, ponctuer de moments nationaux où on mettra toute la dynamique et la logistique nationales. Je voudrais ajouter que la question de la lutte contre l’austérité est essentielle dans notre démarche.
Le périmètre n’est donc pas tracé en termes de formation politique, mais en termes de principes, à l’image de cette prise de position sur l’austérité ?
D. C. : L’ensemble des personnes associées à cette démarche dénonce l’austérité. La politique de François Hollande se rapproche de ce que pourrait faire un centre ou un centre droit. Donc, aujourd’hui, on se dit : « Il faut refaire un vrai parti à gauche. » Mais il ne faut pas non plus s’arc-bouter sur l’hostilité à l’austérité. La vraie question, c’est pourquoi on est contre. On ne construit pas une coalition de rejet, mais une coalition de projet.
Avez-vous le sentiment d’un engagement dans vos formations politiques pour cet appel ?
M.-P. V. : Ce que je vois, au PC, c’est qu’on sent qu’on ne pourra plus jamais refaire comme avant. On n’est plus dans la gauche telle qu’elle a été, on n’est plus dans le fait de peser sur le PS pour réorienter sa politique. Fondamentalement, il y a une autre gauche à construire, ou une nouvelle alternative. Ce n’est pas simple, surtout dans les moments électoraux. Car faire du passé table rase prive parfois de bases militantes et agissantes, et donc de la possibilité de peser dans le rapport de force. Mais mon parti est engagé pour donner corps à ce rassemblement.
D. C. : La démarche dans laquelle nous nous inscrivons avec ces chantiers de l’espoir a été débattue par la direction d’EELV, c’est aussi une impulsion. Dès notre congrès à Caen, il y avait la volonté de construire des convergences avec les forces qui souhaitaient le faire. Chez nous, c’est une dynamique de proposition, pas de contestation.