Quand la haine s’épanche sur les réseaux sociaux
Après la diffusion de messages haineux à l’encontre de Charlie Hebdo ou des musulmans, certains évoquent un plus grand contrôle d’Internet.
dans l’hebdo N° 1336 Acheter ce numéro
Mercredi 7 janvier. Moins d’une heure après l’attentat à la rédaction de Charlie Hebdo, Internet s’enflamme. Le slogan « Je suis Charlie » charrie avec lui les messages de fraternité et de liberté. Mais alors que la plupart des citoyens expriment leur effroi et leur solidarité avec la rédaction du journal, certains se lâchent. « Bien fait pour eux », clament une poignée d’internautes, tandis que d’autres tiennent des propos islamophobes. Rapidement, ces messages malveillants sont montés en épingle, dénoncés par la foule du Web, et repris dans les médias. On s’interroge sur le poids des réseaux sociaux dans la diffusion de la haine et l’incitation à la violence. Selon le ministre de l’Intérieur, 3 721 messages faisant l’apologie de l’attentat ont été signalés sur Internet en l’espace de deux jours. La réaction politique ne se fait pas attendre.
Dans une déclaration commune, les ministres de l’Intérieur de 11 pays, dont la France, estiment « indispensable » de renforcer le partenariat avec les opérateurs Internet pour retirer rapidement les « contenus incitant à la haine et à la terreur ». Laurent Fabius juge sur France Inter qu’il faut des « formules de régulation » sur Internet, et Manuel Valls ne veut plus que l’on « puisse avoir ces mots effrayants de haine ». Des velléités de contrôle qui alarment les défenseurs de la neutralité du Web et laissent dubitatifs les spécialistes. Pour Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence, une start-up spécialisée dans l’écoute et l’analyse du Web social, les responsables politiques se trompent de cible. Car les responsables de ces messages haineux sont rarement des membres de réseaux jihadistes : « Depuis mercredi, il y a eu plus de 10 millions de messages sur Twitter reprenant les mots-clés Charlie Hebdo. Les tweets haineux représentent moins de 0,5 % de ces messages. Et beaucoup sont le fait d’adolescents qui semblent avoir agi plus par provocation qu’autre chose, en ayant l’impression de ne s’adresser qu’à leurs copains », explique-t-il. Il y a, selon lui, un emballement médiatique autour de ces messages, qui s’appuie sur un effet de loupe créé par les internautes eux-mêmes. En voulant répondre et dénoncer ces propos haineux, ils en reprennent les mots-clés ou les contenus, les rendant plus visibles. Et Internet prend ainsi les apparences d’une zone de non-droit.
Résultat : certains réclament avec force un contrôle des réseaux sociaux. Le Conseil représentatif des institutions juives en France (Crif), sortant d’une réunion avec François Hollande, a insisté ainsi sur le problème que représentent ces plateformes, « où des messages antisémites sont diffusés et pour lesquels il faudrait prendre des mesures qui relèvent du pénal ». Dans les faits, tout un arsenal de lutte contre la diffusion de propos haineux sur la Toile existe déjà, et il est « amplement suffisant », selon Guilhem Fouetillou. Des plateformes, qui suppriment elles-mêmes ces messages grâce à un système de signalement, aux mesures judiciaires, les internautes doivent faire face aux conséquences de leurs actes. Vendredi, un lycéen de 19 ans a été condamné à 12 mois de prison avec sursis et à 210 heures de travaux d’intérêt général pour apologie d’actes de terrorisme. Il avait salué l’attentat sur un réseau social, à l’instar d’un internaute de 30 ans qui attend en détention son procès pour des faits similaires.
« Dans le contexte actuel, on a besoin de donner des exemples, analyse Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique. Mais la réponse pénale n’est pas suffisante et pas viable à long terme. » Car l’apparition de messages provocateurs et haineux dans un contexte de crise relève d’une problématique bien plus vaste. « On assiste à une révolution de la liberté d’expression, qui, de théorique, est devenue, avec Internet, un droit pratique, souligne Benoît Thieulin. En s’exprimant sur le Web, un internaute peut potentiellement être lu par des milliers de personnes. Donner un tel pouvoir à des centaines de millions d’individus a des conséquences, et on ne peut pas nier qu’il y ait des dérapages. Car rares sont les internautes conscients de leur responsabilité sur le Web. » L’urgence ? L’éducation. À l’heure de la société numérique, « Les citoyens doivent disposer d’une vraie culture digitale, être conscients du poids de leurs actes », affirme Guilhem Fouetillou. Car un échange sur la Toile n’a pas les mêmes conséquences qu’une discussion de comptoir.