Réduction du temps de travail : Pourquoi ils y croient encore

Quatre points de vue d’horizons différents sur l’actualité d’une réduction du temps de travail.

Politis  • 29 janvier 2015 abonné·es
Réduction du temps de travail : Pourquoi ils y croient encore
© Photos : Dominique Méda : DE SAKUTIN/AFP Éric Heyer : DR Barbara Romagnan : Michel Soudais Pierre Larrouturou : KOVARIK/AFP

Dominique Méda

philosophe et sociologue

« Le partage du travail reste une nécessité alors que le chômage continue de battre de nouveaux records. »

Avec le rapport de la commission spéciale de l’Assemblée nationale sur l’impact de la réduction du temps de travail, la vérité est apparue au grand jour. C’est bien une « machine idéologique » qui a été construite et agitée quinze ans durant pour faire croire au bon peuple que les lois Aubry avaient engendré une série de maux français : dégradation de la valeur travail, perte de compétitivité du pays, préférence pour le loisir et l’assistance… Le rapport démontre ce que peu d’entre nous continuaient inlassablement à soutenir : les Français sont parmi les Européens les plus attachés au travail, la perte de compétitivité n’est pas due à la réduction du temps de travail, la RTT a entraîné directement la création de 350 000 emplois sur un total de 2 millions entre 1997 et 2001. C’est l’un des dispositifs les moins coûteux de lutte contre le chômage ! Les conditions de vie des salariés ont été améliorées lorsque les principes de la loi étaient respectés. L’intensification du travail a marqué une pause et, si l’application de cette politique avait été à son terme, on pouvait espérer non seulement plus de créations d’emplois, mais aussi un véritable changement de société. Ce bilan change tout. Il nous permet de clamer à nouveau que le partage du travail reste une nécessité alors que le chômage continue de battre de nouveaux records et que le nombre de chômeurs de longue durée progresse. Une politique de l’emploi ambitieuse et résolue à combattre immédiatement les ravages du chômage consisterait sans nul doute à promouvoir simultanément une norme de travail à temps complet plus courte (permettant évidemment d’augmenter le temps de travail de tous les travailleurs à temps partiel contraints) et un programme massif de formation et de requalification calé sur les évolutions commandées par la nécessaire conversion écologique de nos sociétés. 

Éric Heyer

économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

« L’augmentation du temps de travail n’est pas adaptée à la situation du marché du travail. »

Corollaire au développement des économies, la réduction du temps de travail est une tendance séculaire commune à tous les pays développés. Celle-ci a pris des formes différentes, allant du développement du temps partiel (comme en Allemagne ou au Pays-Bas) à la baisse de la durée légale en France. La première modalité est moins rigide et autoritaire que la seconde, mais elle instaure une forte dualité sur le marché du travail entre les salariés qui ont accès à un emploi à temps complet et ceux – majoritairement des femmes – qui ne se voient offrir qu’une faible durée du travail et, par conséquent, une faible rémunération mensuelle. Autour de cette tendance, la durée du travail doit varier en fonction de la conjoncture : une baisse est adaptée à une période de basse conjoncture, alors qu’une hausse, par l’intermédiaire de la défiscalisation des heures supplémentaires, par exemple, peut accompagner une économie se rapprochant du plein-emploi. Au cours de la grande récession de 2008, l’utilisation du temps de travail a été, à cet égard, différente d’un pays à l’autre. À l’inverse de la France, certains l’ont utilisé comme variable d’ajustement conjoncturel en le réduisant significativement. Le recours massif aux dispositifs de chômage partiel en Allemagne (kurzarbeit) et en Italie (Cassa Integrazione Guadagni), tout en assurant la continuité du rapport de travail, a permis un maintien des emplois existants (221 500 emplois en Allemagne, 124 000 en Italie, contre seulement 18 000 en France, selon l’OCDE). Aujourd’hui, l’augmentation du temps de travail ne semble clairement pas adaptée à la situation du marché du travail en France, caractérisée par un chômage de masse et l’existence d’un sureffectif au sein des entreprises de l’Hexagone. Ce sureffectif étant concentré dans le seul secteur industriel, une baisse généralisée du temps de travail ne semble pas non plus opportune, sauf à souscrire à l’hypothèse d’une baisse irréversible de croissance tendancielle et d’une « stagnation séculaire » dans nos économies avancées. 

Barbara Romagnan

députée socialiste du Doubs.

« La réduction du temps de travail est une tendance de fond à l’œuvre depuis deux siècles. »

Le travail de la commission d’enquête de l’Assemblée montre que les 35 heures, malgré des limites (comme la flexibilité à l’hôpital), ont été bonnes pour l’économie et pour l’emploi, qu’elles ont stimulé la négociation sociale et permis une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, singulièrement familiale. Ce que l’on peut discuter aujourd’hui, c’est l’opportunité de reprendre cette initiative. C’est ce que je défends. Le contexte économique mondial et national actuel diffère grandement de celui de la fin des années 1990, notamment du fait de la croissance quasi nulle, du poids pris par l’endettement public et de la place réduite des économies européennes dans le marché mondial. Néanmoins, la réduction du temps de travail est une tendance de fond à l’œuvre depuis deux siècles. Elle n’est pas une singularité française, loin de là. En effet, aujourd’hui, contrairement à une idée reçue largement entretenue, le temps de travail hebdomadaire moyen en France (pour l’ensemble des actifs, y compris les salariés à temps partiel) est parmi les plus élevés des pays développés d’Europe : 37,5 heures pour notre pays, 36,5 heures au Royaume-Uni, 35,3 heures en Allemagne et en Suisse, 33,5 heures au Danemark et 30 heures aux Pays-Bas. A contrario, elle est de plus de 40 heures en Europe de l’Est et au-delà de 50 heures en Turquie. La question qui se posera à nous, dans l’avenir, est celle de la distribution des gains de productivité : choisirons-nous d’en faire profiter seulement les actionnaires, seulement les salariés déjà en emploi, en leur demandant toujours plus de travail ? Ou les utilisera-t-on pour répartir autrement le travail et ses revenus, comme cela s’est fait à chacune des grandes étapes du progrès social au cours des derniers siècles ? 

Pierre Larrouturou

économiste, coprésident de Nouvelle Donne.

« Pour créer vraiment des emplois, il faut aller vers la semaine de 4 jours. »

La question n’est pas « Pour ou contre le partage du travail ? », mais plutôt « Quel partage du travail ? » car il existe déjà un certain partage du travail : en France, des millions de chômeurs travaillent zéro heure par semaine alors que des millions d’actifs travaillent plus de 39 heures. Officiellement, la France est passée à 35 heures, mais, en réalité, la durée moyenne d’un emploi à temps plein est de 39,5 heures si l’on en croit la Dares [^2]. C’est un partage du travail stupide et inhumain, imposé par la loi du marché. Les seuls qui en tirent profit sont les actionnaires : quand la peur du chômage est dans toutes les têtes, quel salarié peut exiger une augmentation ? De ce fait, année après année, la part des salaires dans le PIB diminue. Elle a baissé de 10 % en moyenne en trente ans. Ce sont des sommes colossales qui auraient dû aller vers les salariés, les caisses de Sécu et de l’État, et qui sont allés vers les marchés financiers. Pour qu’elle soit vraiment créatrice d’emploi et permette de changer les modes de vie, il faut que la RTT soit assez forte : Nouvelle Donne milite pour un mouvement général vers la semaine de 4 jours. Et si l’entreprise crée au moins 10 % d’emplois en CDI, elle arrête de payer les cotisations chômage. Ce qui permet de créer des emplois et de rester compétitif sans baisser les salaires. Une étude affirmait en 1998 qu’un mouvement général vers la semaine de 4 jours pourrait créer 1,6 million d’emplois. Le sens de l’histoire, ce n’est pas de travailler plus. Nous travaillons 2 fois moins qu’il y a un siècle mais gagnons 5 ou 8 fois plus. Ça s’appelle le progrès social, l’intelligence partagée. Et il n’y a pas de raison que ça s’arrête. 

[^2]: Chiffre de 2011publié en 2013 par l’organisme statistique du ministère du Travail. Il s’agit de la durée habituelle hebdomadaire de travail, le nombre de jours travaillés dans l’année étant de 213.

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