Un désert médical à Colombes ?

Le démantèlement du centre municipal de santé par la majorité UMP remet en cause l’égal accès aux soins dans cette ville des Hauts-de-Seine.

Ingrid Merckx  • 28 janvier 2015 abonné·es
Un désert médical à Colombes ?
© Photo: Michel Soudais

Une ZAD à Colombes ? Le comité de défense du centre municipal de santé (CMS) de cette ville des Hauts-de-Seine a pensé en installer une début janvier. Pour réagir au vote par le conseil municipal, le 18 décembre, de la suppression des consultations spécialisées dans ce lieu et du licenciement de deux des quatre médecins assurant les consultations de planning familial.
Mais il y a eu les attentats, et le projet est tombé.

Le CMS, amputé de deux tiers de son activité, ne compte plus que six généralistes. Exit la rhumatologie, les soins dentaires et infirmiers, la dermatologie, la gynécologie, l’oto-rhino-laryngologie, la cardiologie, la radiologie (y compris cardiaque), l’échographie (suivi de grossesse et écho-doppler) et le laboratoire.

L’habitant qui a besoin de voir un rhumatologue, par exemple, peut se tourner soit vers la médecine de ville (mais il n’y en a qu’un dans cette spécialité à Colombes, et pas en secteur 1), soit vers l’hôpital, mais il faut patienter plusieurs mois.

« Nous recevions des jeunes filles venant en urgence après un rapport non protégé, témoigne le docteur Aline Seif, un des deux médecins assurant des consultations de planning familial. Mais aussi des femmes victimes de violence conjugale, des cas de viol… Nous pouvions proposer une consultation, un test de grossesse, une échographie, éventuellement une IVG dans les 48 heures. Alors qu’à l’hôpital de Colombes ou de Nanterre les délais sont beaucoup plus longs, ce qui peut se révéler problématique. »

Les spécialistes ont été licenciés sans le préavis légal avant Noël et sommés d’annuler leurs -rendez-vous à compter du jour même. « Que sont devenus leurs patients ? Il y avait des suivis de grossesse, des pathologies sérieuses, s’inquiète Aline Seif, actuellement en congé maternité. Le planning était fréquenté par les élèves des lycées professionnels environnants. Ces jeunes iront-ils à l’hôpital ? »

Quel accès aux soins en dehors d’un service de proximité ?

« On est face à un vrai problème d’accès aux soins, dénonce Jean-Pierre Trinh-Khac, dermatologue licencié et membre du comité de défense du CMS. Colombes est en dessous de la moyenne nationale en matière de démographie -médicale. Dans dix ans, une majorité des médecins libéraux exerçant en ville ne seront pas remplacés. Six mille personnes fréquentaient ce centre, dont deux mille venant de Nanterre. » Le CMS est situé dans un quartier défavorisé, le Petit-Colombes. « Quel accès aux soins pour cette population fragile, en dehors d’un service public de proximité ? » , interroge-t-il.

Une pétition a recueilli près de 6 000 signatures. Une manifestation organisée le 5 décembre a réuni plusieurs centaines de personnes. Mais, le 18 décembre, toute la majorité UMP a voté pour la suppression des spécialités du centre et toute l’opposition contre.

« L’argumentaire de la maire UMP, Nicole Goueta, était le suivant, rapporte Yahia Bouchouicha, conseiller municipal PC : “Le CMS est en déficit. La collectivité subit des ponctions. La mairie ne peut assumer toutes les missions de santé publique. Donc on conserve les généralistes, mais pas les spécialistes.” »

« L’argument financier ne tient pas, proteste le docteur Trinh-Khac. D’une part, nous n’avons pu obtenir de rapport d’activité. D’autre part, un CMS fonctionne grâce à des conventions avec la Cnam, le conseil général [pour le planning familial, NDLR] et l’agence régionale de santé [sur des appels à projets, NDLR], et ses recettes proviennent notamment des activités qu’il génère. Or, la mairie a supprimé les activités les plus rémunératrices. En outre, cette décision est intervenue sans concertation. »

Une décision idéologique ?

Le comité de défense du centre avait demandé un moratoire de six mois, le temps de faire des propositions. « Nicole Goueta a refusé toute négociation », déplore Éric May, de l’Union syndicale des médecins de centres de santé. Sa décision n’est pas liée à une baisse des dotations, selon lui : « Elle est 100 % idéologique et aura un impact direct sur la santé des femmes, des jeunes, et le droit à l’avortement, dont on vient de célébrer les 40 ans. »

Pendant la campagne des municipales, Nicole Goueta s’était engagée à ne pas toucher au CMS, projet qu’elle avait nourri lors de sa précédente mandature, de 2001 à 2008. Elle n’a pas répondu aux sollicitations de Politis . Son adjointe à la santé a été remplacée il y a peu par Guénola de La Seiglière, dont l’engagement au sein de la Manif pour tous est connu. Son adjoint à la sécurité est Jean-Paul Bolufer, ancien bras droit de Christine Boutin. De là à supposer qu’il y aurait un front anti-avortement à la mairie, il n’y a qu’un pas.

« Nicole Goueta en est à son dernier mandat, explique Yahia Bouchouicha. Elle fait ce qu’elle avait prévu lors du premier : le minimum pour le social, le maximum pour la sécurité et le foncier. » « Quand on a demandé ce que deviendraient nos patients, elle a répondu : “Ils prendront le bus !” », résume Jean-Pierre Trinh-Khac. Ou ils renonceront à des soins pour raisons économiques, ou géographiques.

L’ARS au secours du CMS ?

D’autres centres de santé sont en difficulté, notamment à Villejuif, au Blanc-Mesnil et à Bobigny. Mais l’affaire de Colombes pourrait créer un précédent. « Soutenir les centres de santé et favoriser une meilleure couverture du territoire » comptait pourtant parmi les propositions du rapport sur l’accès aux soins des plus démunis remis par la sénatrice Aline Archimbaud au Premier ministre en septembre 2013.

Interpellée par le député et la sénatrice de la circonscription, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a demandé le 15 décembre à l’agence régionale de santé d’Île-de-France (ARS) de lancer une réunion de travail et un plan d’action pour « garantir la viabilité et la pérennité économiques du CMS » de Colombes.

« Le mode de financement des CMS est la rémunération à l’acte, rappelle l’ARS Ile-de-France. Par conséquent, la suppression des consultations spécialisées et de l’offre dentaire, qui font partie des activités les plus rémunératrices, sont susceptibles d’aggraver ces difficultés budgétaires (estimées à 1.1 million d’euros de déficit annuel selon la municipalité), précise encore l’agence qui doute que «le maintien de l’offre de médecine générale, moins lucrative, permette d’avoir un budget à l’équilibre (coût estimé à 600 000 euros par an par la municipalité).»

L’ARS se dit « convaincue de l’utilité et de la nécessité d’un maintien d’un exercice collectif et coordonné à Colombes (pour des raisons d’accessibilité géographique et financière), sur le modèle du centre de santé » . Et d’ajouter : « Si des professionnels de santé étaient porteurs d’un autre projet de structure d’exercice coordonné, l’ARS les accompagnerait dans leurs démarches. »

L’ARS estime que les habitants de Colombes qui fréquentaient le CMS peuvent être aujourd’hui redirigés vers la médecine libérale de secteur 1 et les centres de santé voisins : Gennevilliers, Asnières, Bezons Nanterre, Argenteuil, le Centre de santé du rond-point de l’Europe à La Garenne-Colombes et le centre dentaire Valmy-Dentexia.

D’après le recensement disponible sur le site ameli.fr, il existe aujourd’hui à Colombes : 3 cardiologues dont 2 en secteur 1 (et 2 en secteur 1 à Bois Colombes et La Garenne-Colombes) ; 1 rhumatologue dont 0 en secteur 1 (et 2 en secteur 1 à la Garenne-Colombes) ; 4 gynécologues dont 2 en secteur 1 ( et 1 secteur 1 à Bois Colombes) ; 0 phlébologues (et 1 en secteur 2 à La Garenne Colombes) ; 3 ORL dont 0 en secteur 1. C’est pourquoi, plus qu’un désert médical à Colombes, « qui concerne les soins de premiers recours », l’ARS redoute surtout un problème « d’accessibilité financière et géographique aux soins ».

Le Planning familial ne disparaîtra pas

Le conseil général rappelle qu’il « n’a pas la possibilité d’intervenir dans le financement de consultations médicales » , sauf Planning et PMI. Il affirme qu’il n’a pas été « informé d’un risque de suppression de cette activité » et assure : « En cas de renoncement du gestionnaire avec lequel le département a conventionné, l’activité pourra être reprise en direct par les services départementaux. Elle ne sera pas arrêtée, quoi qu’il advienne. »

Pour le reste, un maire semble avoir droit de vie ou de mort sur le CMS. « Nous demandons que les centres de santé fassent l’objet de conventions qui les protègent de l’arbitraire », ajoute Éric May. Seul recours possible pour Colombes, semble-t-il : demander un recours gracieux au préfet, via le Comité technique paritaire de la mairie, à propos de la légalité du vote du 18 décembre. La piste est lancée.

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