Aucun crédit pour le climat
Les trois principales banques françaises investissent dans des projets charbonniers fortement émetteurs de CO2.
dans l’hebdo N° 1342 Acheter ce numéro
«Cher monsieur Bonnafé, les Amis de la Terre vous souhaitent une très bonne année, en espérant que, pour “la banque d’un monde qui change”, 2015 soit l’année du changement ! » Ce courrier adressé au directeur général de BNP Paribas rappelle à ce dernier que son établissement a financé depuis 2005, directement ou non, pour plus de 15 milliards d’euros de projets dans le secteur du charbon, l’énergie fossile la plus émettrice de CO2. Alors que l’on espère la signature d’un accord historique sur la limitation du réchauffement climatique lors du sommet de Paris, en décembre, l’association écologiste demande à la banque de prendre ses responsabilités. Et de s’engager publiquement à renoncer au financement des projets charbonniers (centrales et infrastructures liées) de Plomin C (Croatie), du Waterberg (Afrique du Sud) et de l’énorme bassin de Galilee (Australie). Le Crédit agricole a lui aussi droit à sa missive personnalisée : « “Le bon sens a de l’avenir” si l’avenir est sans énergies fossiles ! » Pour 2015, les Amis de la Terre appellent la banque à lâcher les mêmes dossiers que BNP Paribas, ainsi que les centrales à charbon de Batang (Indonésie) et de Rampal (Bangladesh). Les clients de ces établissements, avec ceux de la Société générale et de la BPCE, seront bientôt invités à adresser des vœux similaires aux dirigeants. Cette campagne pourrait s’accentuer à l’automne, avec un appel à quitter sa banque si celle-ci fait la sourde oreille. Car la situation est alarmante, révèle Bank Track, réseau international d’observatoires bancaires citoyens, dans son dernier rapport sur la ruée des banques dans le secteur charbonnier. La houille, aux réserves encore abondantes (ce n’est pas le cas du pétrole et du gaz naturel), attire fortement les investissements. De 2005 – année d’entrée en vigueur du protocole de Kyoto sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre – à 2014, les 92 principales banques de commerce dans le monde ont investi plus de 373 milliards d’euros dans cette industrie, un quadruplement depuis le début de cette période ! Les vingt banques les plus gourmandes totalisent les trois quarts de ces placements ou prêts, et Bank Track se plaît à mettre en regard leurs ronflants credo « pro-environnement ».
BNP Paribas pointe au 9e rang avec près de 16 milliards d’euros d’engagements, le Crédit agricole au 20e rang avec plus de 7 milliards d’euros. La Société générale, troisième larron français de ce palmarès, apparaît derrière avec quelque 6 milliards d’euros investis. Même si les banques chinoises remportent la palme du dynamisme, les Françaises ne sont pas en reste : elles ont multiplié par deux leurs placements charbonniers entre 2005 et 2013. Les associations se battent depuis des années pour briser l’opacité de cette finance climaticide. Si les banques ont l’obligation de faire état de leurs émissions de gaz à effet de serre, le périmètre des activités concernées s’arrête au chauffage des locaux et au transport des salariés : une infime fraction du CO2 généré par leurs investissements, de l’ordre d’un millième seulement ! Les Amis de la Terre avaient tenté de calculer, en 2010, « l’intensité CO2 » de chaque euro déposé par un client dans sa banque. Méritoire mais incomplet, tant l’exercice est rendu délicat par le manque de transparence. « Nous demandons depuis des années que les banques soient tenues de publier l’intégralité des émissions qu’elles induisent », rappelle Lucie Pinson, des Amis de la Terre. En queue du palmarès 2010 de l’association, le Crédit agricole s’y soumet désormais volontairement, « mais sa méthodologie est biaisée de manière à parvenir à un résultat flatteur », relève-t-elle. Un guide méthodologique d’estimation des émissions de gaz à effet de serre adapté au secteur financier a cependant été rendu public en décembre dernier à l’initiative, entre autres, de la Caisse des dépôts. Hélas, déplorent les Amis de la Terre, il comporte encore des failles béantes puisqu’il ne considère pas l’émission d’actions et d’obligations, lesquels représentent parfois près de la moitié des soutiens bancaires au secteur du charbon ^3. La pression médiatique et la mobilisation citoyenne restent encore les moyens de pression les plus efficaces. La campagne menée depuis des mois par les Amis de la Terre, Attac et Bizi a ainsi contribué au retrait de la Société générale, début décembre, du plan de financement du gigantesque complexe australien Alpha Coal.